Table des matières
Méthodologie
Dossier en accès libre de la section Atelier
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⇒ À migrer vers la nouvelle section Méthodo
(construite à partir de la méthodologie coranique).
Intuition
Toute science* implique un modèle, l’usage de catégories bien définies, mais aussi la possibilité de leur critique. Toute science implique un rapport à la réalité qui transcende le modèle, qui permet sa mise à l’épreuve, parce qu’il parvient encore à distinguer l’une de l’autre. Toute activité scientifique exige le développement d’une intuition*.
Engagement
En ce qui concerne l’anthropologie, l’intuition se construit aux prises avec une activité d’écriture, et dans une confrontation toujours renouvelée aux « sources » et/ou au « terrain ». On nomme ethnographie* cette technique spécifique d’écriture et d’engagement.
Toute ethnographie implique une prise - soit l’expérience d’une forme d’« affect non-représenté » (Jeanne Favret-Saada) - suivie d’une déprise et d’une reprise de cette même expérience : on a alors acquis l’intuition du monde social considéré.
Mais ce processus exige l’établissement d’une alliance d’enquête*, la collaboration d’acteurs disposés à s’investir personnellement dans l’aboutissement de la recherche, souvent sans l’avoir vraiment choisi.
Retrait
Refusez d’entrevoir les conditions de l’alliance d’enquête, et vous réduisez l’anthropologue au silence. L’écriture sociologique n’étant légitime (et scientifiquement rigoureuse) que dans la mesure où elle répare cette dette (Florence Weber), vous empêchez l’anthropologue de produire le moindre de ses matériaux.
En janvier 2007, au milieu de ma deuxième année de thèse, Ziad était diagnostiqué « schizophrène » par un psychiatre yéménite (probablement formé en Union Soviétique) qui ne connaissait strictement rien à l’histoire de cette famille, qui manifestement ne se souciait même pas des circonstances pour lesquelles on avait fait appel à lui. L’aîné Nabil venait de décéder dans un accident de voiture, et Ziad refusait de reprendre le poste à la tête de la police des souks. Mais un oncle de Sanaa, craignant d’avoir la famille de ses sœurs à sa charge pour longtemps, avait alors suggéré d’essayer les électrochocs. Mais si on l'avait vraiment pensé schizophrène, jamais on ne l'aurait poussé à prendre un tel poste…
Pour moi, l’incident fut une libération. Les Yéménites n’avaient donc pas besoin de l’observateur occidental pour se faire du mal : ils savaient très bien par eux-mêmes en utiliser les armes - ce que je soupçonnais en fait depuis longtemps… L’incident ouvrait la perspective d’une reconnaissance de notre alliance paradoxale. Aussi parce que l’oncle en question était déjà impliqué (pas de manière directe) dans l’issue de mon premier séjour trois ans et demi plus tôt (octobre 2003). Cette perspective se traduira dix-huit mois plus tard par mon alliance renouvelée avec Yazid, le dernier des trois frères. Je voyais enfin le bout du tunnel, car je tenais l’imbrication de deux régimes° : le régime épistémologique des sciences sociales et le régime politique de l’État yéménite.
…Sauf qu’au même moment, mes interlocuteurs scientifiques expriment une forme de scepticisme, en fait une forme de déni : « Il serait devenu schizophrène de toute façon ! » et aussi : « Avez-vous songé à aller voir quelqu’un ?… ». Idem du côté des musulmans, auprès desquels je recherche un soutien bien illusoire : « Toute maison comporte des toilettes : tu es juste tombé sur la mauvaise personne… ».
⇒ Le point commun de ces réactions, c’est qu’elles insistent pour rapporter l’alliance d’enquête à des circonstances particulières, ne relevant pas de l’enquête elle-même. En refusant d’admettre la situation dans sa généralité, elles empêchent le regard anthropologique de se porter vers l’extérieur, le maintiennent artificiellement entre prise et déprise, en l’obligeant à une justification perpétuelle.
Globalisation
Depuis une dizaine d’années, mon travail porte en fait sur les raisons structurelles de ce blocage. Car l’échec de cette enquête n’est évidemment pas décorrélé de la tragédie ultérieure : il ne s’agit pas juste de l’effondrement d’un pays, c’est aussi et surtout l’effondrement d’un regard. Le naufrage de « l’anthropologie de l’islam »* menace moins d’engloutir l’islam que d’engloutir l’anthropologie elle-même, c’est-à-dire la capacité de l’Europe à penser sa propre place dans le monde (L'anthropologie comme face).
Mes outils sur ce wiki
- un carnet de terrain, organisé chronologiquement.
C'est la seule partie entièrement privée, qui n'a jamais vocation à être publiée telle quelle (F. Weber 1991). - des bribes d'analyses,
organisées par thématiques.. - des notes de lecture,
qui m'aident à reparcourir plus aisément un livre qui m'importe. - des notes d'écoute
(en fait pour moi, c'est encore plus important : j'ai toujours préféré écouter les gens parler de leur travail, car tout devient beaucoup plus tangible et j'apprends beaucoup plus).
D’autres sous-dossiers “méthodo” sont à venir - anthropologie, histoire, exegèse, arabe, etc. - mais je n’ai pas encore le recul suffisant.
Tâtonnements du dossier méthodo :
Appareil sociologique (en lien avec Johan Van der Keuken, cinéaste du réel)
Le Bassin / al-Kawthar (croisement entre eschatologie musulmane et méthodologie)
Survivre entre Charybde et Scylla (sur les rapports sciences / humanités)
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