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L'anthropologie comme face

L’anthropologie est cette discipline des sciences humaines qui permet à l’Europe* d’avoir une face, une conscience claire de sa place dans le monde, de la frontière entre soi et l’Autre. Mais avant d’être une grande théorie surplombante de l’Humanité, cette discipline repose sur un art ethnographique : une pratique d’écriture (graphein en grec), consciemment située dans un groupe social particulier (ethnos), mais qui demeure partiellement expérimentale et ouverte à l’imprévu.
Quelle écriture pratiquer, qui n’enferme pas l’Autre dans mes propres représentations ? L’anthropologie apporte à cette question des réponses ad hoc, propres à chaque région du monde (aires culturelles) - mais adossées aussi à une méthodologie ethnographique transversale, permettant la critique des « conditions expérimentales ».

Sur la société yéménite des années 2000, mes textes ont tenté d’apporter à cette question une réponse renouvelée, élaborée par tâtonnements à chaque étape de ma recherche, mais toujours avec l’exigence non-culturaliste des sciences sociales généralistes - combinant des éclairages sociologiques et historiques autant qu’anthropologiques.

Les métamorphoses d’une face

Dans mon travail d’écriture depuis 2017, j’ai mis le coup de projecteur sur trois moments-clé de ma vie personnelle en marge de mon enquête. Trois aspects dont il n’y avait pas lieu de parler explicitement à l’époque, puisqu’ils étaient déjà traités implicitement à travers la discussion théorique et méthodologique.

date moment incident Stades d'affectation
octobre 2003 après premier contact acte sexuel prise
juin 2004 avant premier retour conversion subjective à « l’homosexualité » déprise
septembre 2007 retrait pour la rédaction conversion à l’islam reprise

La recherche et l'intime

En se reportant aux textes que j’ai produits dans ces différentes phases, on constatera qu’il n’y a pas de corrélation directe entre ces incidents et les thématiques abordées. La problématique de l’homoérotisme* s’est imposée deux ans après ma première enquête (année 2005-2006), en lien avec des circonstances tout autres, et je n’ai pas cessé de la considérer pertinente après ma conversion.

Le travail d’un anthropologue consiste à s’extirper de son vécu subjectif immédiat, afin de contempler les contraintes qui s’exercent dans le monde contemporain. Donc les deux processus ne se situent simplement pas au même niveau. Le vécu subjectif est recueilli sans filtre sur le carnet de terrain, et n’affleure jamais directement dans les écrits, si ce n’est par un acte conscient de mise en scène.
La thématique de l’homoérotisme relevait d'ailleurs exactement de ça : je mettais en scène le vécu subjectif d’un observateur générique, dans des situations expérimentales réelles et documentées…

⇒ Deux articles importants de Florence Weber (qui m'a formé) sur la réflexivité d'enquête
(republiés dans son Manuel de l'ethnographe, PUF 2009)
« L'enquête, la recherche et l'intime ou : pourquoi censurer son journal de terrain ? ».
EspacesTemps 47‑48 (1991): 71‑81.
« Journal de terrain, journal de recherche et auto-analyse (entretien avec Gérard Noiriel) ».
Genèses. Sciences sociales et histoire, nᵒ 2, décembre (1990): 138‑47.

De la sociologie à la cybernétique

Dès l’année 2008, toutes mes analyses convergeaient vers cette posture d’analyse que Bateson appelle explication cybernétique, où réside l’apport spécifique de l’ethnographie par rapport aux discussions sociologiques générales. Cette posture d’analyse consiste à montrer que, parmi toutes les possibilités décrites par le langage sociologique, les évènements particuliers (survenus sur le terrain) étaient en fait les rares à pouvoir se produire effectivement. De cette manière, l’ethnographie touche à l’universel, bien qu’à travers la description de rencontres particulières.

Ressorts institutionnels du déni

Mais le mécanisme s’enraye, inversement, si l’on refuse de reconnaître le schéma méthodologique général (les trois moments) derrière la séquence particulière subjectivement vécue par l’observateur. Quand l’institution fait le choix de particulariser une rencontre, d’en pathologiser les protagonistes plutôt que d’en tirer les enseignements : « Ziad serait devenu fou de toute façon… » « Vous devriez aller chez le psy (régler votre homosexualité)… », etc. Il suffit qu’on nous refuse l’hospitalité intellectuelle pour que tout le mécanisme se bloque, et qu’il n’y ait plus rien à sauver.

Quand la question existentielle d’une discipline - Comment continuer d’avoir une face malgré le passage à l’écriture ? - est renvoyée sur les épaules d’un individu particulier (« C’est un problème personnel… » « Écrivez plutôt un roman… »), cela signifie simplement que la discipline n’existe plus. Ou du moins qu’il y a urgence à la refonder.

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fr/atelier/methodologie/ethnographie/face.txt · Dernière modification : 2023/11/14 08:40 de mansour

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