20:41 Je t’ai assigné à Moi-même
✎ Tiré de sourate n°20 Ta-Ha طه (mecquoise, 135 versets).
وَاصْطَنَعْتُكَ لِنَفْسِي ﴿٤١﴾
Un verset décisif pour la compréhension de notre petite histoire, parce qu’il restitue la relation au cœur de tous les monothéismes, inhérente au phénomène de la Révélation (⇒ L’anthropologie monothéiste).
Dieu dit à Moïse, lorsqu’il lui parle au Buisson Ardent : « Je t’ai façonné (istana’tuka) pour moi-même (li-nafsî). » (20:41) Ou encore « Je t’ai formé pour ma propre âme » (selon la manière dont on traduit le verbe istana’a et le mot nafs). Dans d’autres passages : « Ô Moïse, je t’ai élu parmi les hommes par mon message et ma parole, donc prends ce que je te donne et sois parmi les reconnaissants » (istafaytuka bi-, 7:144) et aussi « Je t’ai choisi, donc écoute bien ce qui t’est révélé. » (ikhtartuka, 20:13) - liens directs vers le site lenoblecoran.com, qui permet de comparer une quarantaine de traductions françaises existantes.
Ces différentes formulations convergent pour pointer une situation d’élection, par la réception d’une parole venue de Dieu, sans éluder la dimension mentale* du processus. Dieu dit tantôt : je t’ai préféré (avec une notion d’affect), tantôt je t’ai façonné (avec une notion d’artisanat) ou encore formé (avec une notion d’apprentissage) - en lien avec les circonstances mentionnées juste avant (versets 38 à 40), qui retracent la vie de Moïse de sa naissance jusqu’à l’instant de cette rencontre avec Dieu.
L'entrée de la pièce de Ziad (Photo du 31 mars 2006).
Passons maintenant à l’examen de la situation ethnographique* : qui choisit qui au juste, au démarrage d’une recherche ? Sur ce point, toutes les alliances d’enquête* comportent une part d’ambiguïté :
- D’un côté, c’est l’ethnographe qui se déplace, avec tous les privilèges afférents à sa condition d’Occidental (passeport, financement, permis de recherche délivré par l’État local… - voir la page Mansour). L’ethnographe est celui dont les mots portent, il est un médiateur du pouvoir technocratique.
- Mais d’un autre côté, l’ethnographe est aveugle : il ne connaît rien à la situation locale, il n’est absolument pas en mesure de choisir quiconque…
De mon point de vue à l’époque, Ziad était « l’élu » par sa maîtrise d’une pensée formelle, qui nous permettait de communiquer : Ziad était Major de l’Université de Taez, comme j’étais moi-même Normalien. Plaquant spontanément la pré-éminence des mathématiques dans le système éducatif français, il me semblait naturel que la pensée formelle soit le signe commun de notre élection. Mais avec mes interlocuteurs en sciences sociales, du fait de leur rapport contrarié aux matières scientifiques, cette dimension de l’histoire a toujours été tabou…
Dans les discussions de méthodologie ethnographique, on insiste souvent sur le caractère réciproque de cette élection : l’ethnographe est choisi par ses enquêtés autant qu’il les choisit. Mais ici comme ailleurs, les sciences sociales « noient le poisson ». De mon point de vue, cette vision des choses est excessivement individualiste et psychologisante : elle suppose des motivations psychologiques en arrière-plan, et plus fondamentalement encore, elle suppose la désunion de la société locale.
Dans mon écriture ces dernières années, j’ai pu montrer que Ziad ne m’avait absolument pas choisi - voir mes textes sur le mois d’août 2003, en particulier le Pacte. Certes, Ziad dit « Mansour, je t’aime ! », dans ce moment où il m’accueille dans sa pièce pour la première fois (16-17 août 2003), mais ces déclarations d’amour éminemment publiques doivent être replacées dans le contexte d’une pression sociale considérable : tout le quartier m’a remarqué les jours précédents, lors du mariage de son voisin Abderrahman, professeur de français à Aden (13-15 août). Beaucoup de convives ont déjà remarqué l’intérêt que je portais pour Ziad, intérêt confirmé par mon retour dans la zone après la fin des festivités. Donc par ces déclarations d’amour, Ziad me teste, et il communique aussi à destination de son entourage. Manière de dire : « Il y a là quelque chose que je ne maîtrise pas… », manière élégante de communiquer sur sa gêne sans déroger à l’hospitalité exigée de lui.
Pour ma part, je sais que mon enquête est en train de se jouer sur cette rencontre, et bien sûr je fais tout ce qu’il faut pour être à la hauteur. Mais malgré cela une mécanique s’enclenche - comme dans l’épigenèse de l’œuf de grenouille… - mécanique qui finira par se retourner contre lui. Un peu comme dans l’histoire de Loth, la société ne lui pardonnera jamais de recevoir cette visite. Et n’étant pas moi-même un ange, n’étant pas une créature de lumière, j’ai communiqué sur cette injustice comme j’ai pu, à travers le geste d’octobre 2003 - voir le schéma du marivaudage de mon premier séjour.
Face à la corruption spécifique de l’Islam postcolonial*, la conversion homosexuelle était la réponse adaptée. Je continuerai de raconter et d’assumer cette histoire, comme je le fais depuis vingt ans, afin de mettre en lumière ce fait épistémique* fondamental. Et la « réforme de l’islam » n’ira nulle part, tant que nos réformateurs auto-proclamés continueront d’en faire abstraction.
Dieu dit à Moïse, selon la traduction de Hamidullah : « Je t’ai assigné à Moi-même ». Je t’ai préparé pour prendre en charge l’injustice du monde. Il est compréhensible que Ziad ait pris cette phrase pour lui-même, il est compréhensible qu’il soit Jésus. Quant à moi, je suis Jean le Baptiste (19:10), témoin du baptême de Ziad, qui s’est joué en 2003.
(1er août 2023)
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