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Teaser

(Rédigé le 17 septembre 2024 / remaniement en cours)

Le non-dit de la période actuelle, c’est que les musulmans diplômés* se comportent comme des juifs.
On observe en effet une confusion entre :

  • le reproche théologique adressé aux juifs dans le Coran, qui concerne d’abord les musulmans eux-mêmes (voir le verset 2:85 commenté par Ovamir Anjum),
  • la responsabilité d’une situation géopolitique, où le poids démographique des juifs est plutôt en recul (voir les données de cadrage proposées par Emmanuel Todd).

La confusion de ces deux niveaux, dans les communautés musulmanes occidentales, relève d’une démission intellectuelle collective : un déficit de pensée critique réflexive*, trop souvent noyée dans la pensée critique « intersectionnelle »* - soit l’évitement de toute articulation explicite entre islam et sciences sociales.

Face à cette situation, les remèdes sont : l’histoire de longue durée, l’anthropologie fondamentale, l’épistémologie - articulées aux sciences islamiques traditionnelles, pour dialoguer avec les relectures réformatrices du XXe siècle. Une approche batesonienne* de ces problématiques (écologie mentale) permet de désamorcer certains effets pervers des luttes décoloniales et des phases de construction nationale : une conception de l’islam limitée par le culturalisme et le réflexe ethno-national, qui a mené le monde arabe dans la crise de 2011.

Ma proposition consiste à envisager le Coran dans sa dimension matricielle* : la présence agissante du texte dans l’Histoire, notamment dans l’histoire des sciences et l’histoire sociale des idées, en commençant par l’ouverture du Coran (Fatiha). Quels comportements intellectuels « méritent le courroux divin » aujourd’hui (maghdûbi alayhim), dans le contexte de sciences sociales globalement « égarées » (dhâllîn) ? Pour répondre à cette question, il faut tenter de ressaisir organiquement l’histoire des idées : suivre l’évolution de ce « Ne faites pas comme les juifs » dans le soubassement médiéval de notre modernité*, jusqu’à la situation actuelle. Dans la genèse de notre épistémologie* moderne, l'islam a-t-il joué un rôle spécifique? Et si oui, comment les musulmans doivent-ils y contribuer aujourd’hui?

Je commencerai par poser que notre épistémologie actuelle - les mots que nous utilisons quotidiennement et qui sont moissonnés par l’IA - sont la combinaison de trois postures, trois types de contributions :

La raison discursive (logos)*
L’intuition*
La structure qui relie*
L’œil de l'intelligence artificielle.
L’œil de l'IA
ou les trois contributions de l'épistémologie moderne

(voir code couleur)

Ceci étant posé, la petite histoire de mon enquête peut se résumer ainsi :
Physicien de formation, je décide de me reconvertir aux sciences sociales peu après les attentats du 11 septembre, juste après un premier séjour linguistique au Yémen (juillet 2001). Je m’aventure dans une discipline littéraire, fondée sur la raison discursive, et j’ai l’espoir de me forger une intuition suffisamment fine (des outils sociologiques, de la situation locale) pour faire une proposition utile.
Dans mon épistémologie au départ, je n’ai donc conscience que des deux premiers termes. Or les Yéménites vont m’obliger à en intégrer un troisième - la Totalité - dans les circonstances que je décris sur ce site, voir la section Comprendre : déstabilisation homosexuelle (2004-2006) suivie d’une conversion religieuse (2007).
Vers 2008, je commence à lire Bateson plus sérieusement, et je reçois le soutien du CNRS. J’ai depuis la conviction que l’écologie mentale* est l’approche pertinente, pour quantité de questions articulant l’islam* et le Social*. Mais les musulmans refusent d’accueillir cette histoire, de lui faire une place dans un cadre communautaire, refusent tout simplement de la comprendre, d’attester l’existence des personnes concernées - sans même parler de faire des invocations pour elles (du’a). Situation extrêmement déstabilisante pour un anthropologue, qui sous-tend ma réflexion depuis quinze ans, et que je résume aujourd’hui par cette phrase : les musulmans diplômés se comportent comme des juifs.

« Se comporter comme un juif », c'est donc ce que j’essayais de faire au départ, m’aventurant dans les sciences sociales en gardant mon intuition de physicien. Dans l'épistémologie de la matrice monothéiste, on peut parler d’une adhésion consciente - par contraste avec l’adhésion aveugle du littéraire*, qui baigne dans la raison discursive comme un poisson dans l’eau.
Dans l’histoire intellectuelle européenne, c’était effectivement la position des juifs, bien en amont de leurs persécutions : les juifs avaient conscience d’eux-mêmes, du simple fait qu’ils restaient en contact diasporique avec toutes les communautés juives, notamment celles du monde islamique médiéval, à travers la littérature hébraïque. Mais en même temps, Rachi de Troyes est l’un des premiers témoignages de l’ancien français : les juifs étaient totalement immergés dans la culture locale, en ce sens que leur culture n’avait pas d’autre lieu.
De même pour moi : en 2003, je n’avais simplement pas d’autre lieu où envisager la rencontre. « Se comporter comme un juif » n’est plus une question linguistique ou d’appartenance, depuis très longtemps : c’est lié à certaines configurations intellectuelles objectives, prolongées par l’institution universitaire*, inhérentes à l’épistémologie du système européen*.

« Être musulman », c’est autre chose : se faire témoin de la structure qui relieGB5, à travers une histoire singulière - le Coran lui-même fonctionne de cette façon ! J’ai le sentiment que les diplômés n’en ont pas vraiment conscience, et ne cherchent pas vraiment.

26 septembre 2024 : Le remaniement de ce texte n'ira pas plus loin finalement (et je laisse ci-dessous la version d'origine). Que les musulmans diplômés se comportent comme des juifs, c'est un paradoxe stimulant, qui éclaire pas mal de choses. Mais en pratique ça me ramène toujours à casser du sucre sur l'« intersectionnalité »*. Et ça risque fort d'être reçu comme une anathème, ni plus ni moins, tant que je n'ai pas proposé ma propre ligne de conduite de diplômé musulman…
⇒ nouvelle section Methodo (coranique/ethnographique), à suivre prochainement.

Le non-dit de la période actuelle, c’est que les musulmans diplômés* se comportent comme des juifs. Pardon de dire les choses aussi crûment mais il faut pouvoir poser ce paradoxe, à l’intérieur et à l’extérieur de la Communauté. Et bien sûr, je préciserai ce que signifie ce « comme des juifs » : il s’agit essentiellement du soubassement médiéval de notre modernité*, du rôle qui a été celui des juifs à l’aube de l’histoire européenne, et qui est un peu resté le leur dans l’histoire des idées.
Disons les choses autrement : les musulmans diplômés, qui se rêvent en Albert Einstein ou en Sigmund Freud, devraient plutôt se rêver en Gregory Bateson. Beaucoup le sont déjà d’ailleurs : certains découvriront en me lisant qu’ils font du Bateson sans le savoir, dans leur pratique quotidienne. Très bien ! Simplement il faut qu’il le sachent, que ce point soit articulé, politiquement et théologiquement.

À l’heure actuelle, les communautés musulmanes occidentales fonctionnent sur ce non-dit, qui ne peut plus durer. Elles parlent constamment de réarmement intellectuel, d’un indispensable sursaut, mais le modèle implicite reste celui de l’ingénieur, du « petit génie » cité dans les livres d’école. Or qui a le plus contribué à l’histoire des sciences : Al-Khawarizmi ou Ibn Hanbal ? Il faut se positionner ! L’un et l’autre sont nés en l’an 164 de l’hégire (780), ont vécu à Bagdad, mais on ne peut pas ré-écrire l’histoire et se raconter qu’ils étaient copains !1) Or ce genre d’absurdité est constamment ressassé dans notre Communauté, dès lors qu’on s’exprime en français.

Et tous ces petits génies nous mènent directement à Gaza, il ne faut pas chercher plus loin. L’Occident s’est construit comme ça en effet, à travers la fondation des universités* vers le XIIe siècle. C’est bien le principe du diplôme : avoir des travailleurs intellectuels qui s’activent « comme des juifs », néanmoins soumis à la rétroaction des hiérarchies universitaires : une cybernétique* de l’intelligence. Or voilà que les musulmans, une fois levées les discriminations de l’époque coloniale, entrent en masse dans ce système de qualification globalisé, sans articuler la moindre responsabilité spirituelle ou morale à son égard. Voilà qui nous mène directement au désastre écologique et à Gaza : un système incapable de débrayer, qui broie tout ce qui lui résiste. Les diplômés occidentaux peuvent bien se donner bonne conscience, en organisant des sit in et des levées de fonds, ils ne font que verrouiller la sénilité du système. Ce dont le monde a besoin aujourd’hui, c’est de musulmans qui se comportent de manière responsable, de manière cohérente avec la position qu’ils occupent de fait dans le système. Ce qu’une majorité de musulmans fait déjà spontanément, encore une fois, mais les diplômés doivent sortir de leur délire discursif : cesser avec leur diplôme de se croire sortis de la cuisse de Jupiter !

La piste que je propose consiste à reconsidérer le rôle de l’Islam dans la genèse de l’épistémologie* moderne. Une épistémologie dont je pose qu’elle est la combinaison de trois postures, trois types de contributions :

La raison discursive (logos)*
L’intuition*
La structure qui relie*
L’œil de l'intelligence artificielle.
L’œil de l'IA
(voir code couleur)

L’oeil représente l’épistémologie moderne, l’ensemble des mots que nous utilisons. C’est aussi l’oeil de Big Brother, des réseaux sociaux, régulés par l’IA. Mais l’Intelligence Artificielle n’englobera jamais l’histoire des idées. Elle n’englobera jamais les théologies monothéistes, dans leurs tensions et leurs décalages comme dans leur profondeur commune. L’IA sait gérer des clubs de supporters, de tel ou tel parti politique, et l’affect ethno-religieux le plus superficiel. Elle est incapable d’intégrer l’engagement intellectuel cohérent d’une seule personne sur une vingtaine d’années - disons d’un adulte dans la quarantaine. Face à l’histoire documentée sur ce site, et devant toute histoire de vie réelle, l’IA restera toujours telle une poule devant un couteau. Car l’oeil de l’IA n’intègrera jamais les différentes histoires qui l’ont constituée, reliées aux traditions monothéistes à travers ces trois termes : logos, intuition, structure qui relie.

(1) Quand j’ai commencé ma recherche, je ne connaissais que les deux premiers : l’intuition et le modèle. Je sortais d’études de physique et j’avais cette ambition de jeunesse, en m’alliant aux musulmans dans le contexte post-11 septembre : être une sorte d’Einstein des sciences sociales…
Comme je le raconte sur ce site (section Comprendre), le terrain yéménite m’a contraint à ajouter un troisième terme, la Totalité. J’ai alors commencé à faire de la systémique, et à lire Bateson sérieusement.
(2) Seulement, Bateson reste encore dans le cadre d’une systémique naturaliste, où il n’y a d’intuition que de la Totalité : cette triade retombe souvent, en pratique, sur le dualisme dont elle cherche à s’extraire.
Car en réalité, la séparation de l’intuition et de la Totalité n’est pas un accident, que quelques mantras écologistes pourraient suffire à réparer. Elle est un fait central de l’histoire des idées, étroitement lié à ce que j’appelle la matrice monothéiste*.
(3) L’intuition et la Totalité sont séparées par l’intrusion irrémédiable de Dieu - c’est l’évènement de la chute hors du jardin d’Eden, dont parlent les théologies. Elles sont séparées parce que l’apport juif et l’apport musulman, après le réinvestissement chrétien du logos, s’appliquent à des niveaux épistémologiques différents, et de cette double contrainte émerge le rationalisme* moderne. L’apport d’une systémique monothéiste, telle que je tente de la développer, serait de regarder cela en face.

Toutes les théologies monothéistes en parlent à leur manière, que ce soit à travers la personne du Christ, à travers la destruction du Temple, ou à travers la Révélation de Mohammedﷺ. Les deux premières ne le savent pas forcément, mais le Coran parle explicitement de cette triangulation, dès la première page (Fatiha) et jusqu’aux dernières. Que les musulmans diplômés se cachent derrière les angles-morts de leurs cousins monothéistes, plutôt que d’assumer leur part de témoignage, voilà qui mène à Gaza. Que les musulmans diplômés préfèrent ignorer les doubles contraintes* qu’ils imposent aux subjectivités occidentales, du fait-même de leur participation (je parle évidemment d’octobre 2003, pour ce qui me concerne) ; qu’ils préfèrent comprendre le monde en faisant abstraction de ce phénomène structurel, quitte à n’avoir aucune prise sur rien… Tout cela est révélateur d’une époque : les musulmans diplômés se comportent comme des juifs.
Cette petite phrase donne sens accessoirement à la folie de Ziad, qui se prend pour le roi des juifs depuis une douzaine d’années…

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1)
Je fais ici référence à la Mihna, l'inquisition mu'tazilite des califes abbassides (833-848) - l’un des évènements les plus importants de l’histoire intellectuelle monothéiste (peut-être avec Thomas d’Aquin, quatre siècles plus tard).
fr/modele/matrice/teaser.txt · Dernière modification : 2024/10/02 06:16 de mansour

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