2:85 Croyez-vous donc en une partie du Livre?

✎ Tiré de sourate n°2 La vache  البقرة (médinoise, 286 versets).

(Lié à la page : La sociologie est un monothéisme)
Ovamir Anjum compare les musulmans actuels aux juifs de Médine, dans un exposé sur : “Pourquoi il faut de l'oummatique* ?” (voir glossaire).

Traduction de l'extrait

Du moment où une collectivité de gens doit faire quelque chose, ils doivent s’organiser. Et si nous échouons à le faire, nous devons affronter l’avertissement donné dans le Coran - je me réfère aux versets 84-85 de la sourate de la Vache, qui parlent des juifs de Médine, qui étaient divisés en trois tribus et se faisaient la guerre. Ils participaient à l’ère des guerres arabes païennes, avec leurs partenaires arabes en tant que tribus, en se tuant les uns les autres. Pourtant à titre personnel ils étaient pieux, mais en tant qu’individus pieux, ils rançonnaient les juifs qui passaient par là…
C’était comme si leur piété était indiscutable dans leurs obligations sociales et personnelles, mais en ce qui concerne leurs obligations politiques… - leurs obligations « oummatiques », on pourrait dire - dans leur obligation d’être une oumma, ils échouaient.
Et comment Allah le Très Haut caractérise cela ? « Est-ce que vous croyez dans une partie du livre et en rejetez une autre ? ».

Puis Allah, gloire à Lui, met en garde contre ce que j’appelle la double humiliation, qui va avec les Oummas exceptionnelles - dans le sens où, une fois qu’on vous a donné le livre d’Allah, vous devenez exceptionnels. Les lois normales qui s’appliquent aux autres ne s’appliquent pas à vous. Vous ne pouvez pas prospérer, si ce n’est à travers l’islam, si ce n’est en répondant à cet appel, qui fait de vous des ambassadeurs des prophètes. D’autres peuples peuvent prospérer par des moyens purement matériels, simplement par une mise à l’épreuve d’Allah, mais le peuple élu - les juifs à cette époque, avant Mohammed (sur lui le salut et la paix), ils étaient choisis comme Oumma, mais maintenant avec cette « communauté médiane » (oummatan wasatan), ce mandat a été donné à la Oumma de Mohammed (sur lui le salut et la paix), et si nous ne nous retournons pas, nous affrontons la même pénalité de double humiliation, brandie dans ce verset.
Voilà mon argument, sur pourquoi il doit y avoir de l’oummatique* [politique de la Oumma] : il faut un moyen d’engager l’action collective, pour protéger la Oumma. Et pour cela, historiquement par consensus des musumans, ça a voulu dire un imamat, un leadership, qui est toujours à la fois une institution et des individus.

Traduction des versets concernés

[84] Rappelez-vous aussi que vous Nous aviez donné votre engagement de ne pas verser le sang et de ne pas vous expulser les uns les autres de vos demeures. Et vous y avez souscrit avec votre propre témoignage. [85] Or, voilà que vous vous entretuez, que vous chassez de leurs foyers certains de vos frères, en vous liguant injustement contre eux, pour les accabler d’abus et d’oppression. Et quand ils tombent en captivité, vous les rançonnez, alors qu’il vous était interdit de les expulser. Admettriez-vous seulement une certaine partie du Livre et en rejetteriez-vous le reste? Quel traitement devra être réservé à ceux qui agissent de la sorte, sinon l’ignominie dans ce monde et le châtiment le plus impitoyable dans l’autre? Dieu n’est pas inattentif à vos agissements. [86] Ce sont ceux-là qui ont troqué la vie future contre la vie d’ici-bas. Aucun adoucissement ne sera apporté à leurs tourments et aucun secours ne leur sera accordé.

L'exceptionnalité de la Oumma

Je le voyais en tant que sociologue, et je n’osais pas trop le dire en tant que musulman - que les versets de la Vache s'appliquent aussi aux musulmans (au moins à certains d’entre eux, musulmans diplômés*). Le problème est surtout d’avancer quelque chose en échange, une proposition constructive.

On l'entend bien chez Ovamir Anjum : l’identification aux juifs s’articule avec une exigence d’exceptionnalité pour la Oumma :
« Une fois qu’on vous a donné le livre d’Allah, vous devenez exceptionnels. Les lois normales qui s’appliquent aux autres ne s’appliquent pas à vous. »

Cette remarque fait fortement écho à mon propos : l’importance pour les musulmans diplômés de revendiquer une forme d’« extra-territorialité » vis-à-vis de la sociologie. Quand tant de musulmans font profession de croire que les sciences sociales s’appliquent - y ajoutant même parfois le zèle militant - maintenir au contraire l’idée que les sciences sociales sont une approximation¹⁾ du monothéisme, et qu’elles ne s’appliquent pas forcément.

(Le décalage France / États-Unis)

Pas sûr qu’Ovamir Anjum me suiverait jusque là : les propositions intersectionnelles* que je dénonce ont quelque chose d’endémique dans le contexte académique anglosaxon, et les contributions du Ummatics Institute ne font pas exception. Anjum milite très fortement pour l’intégration des sciences sociales aux sciences religieuses - il jouit lui-même d’une très bonne formation de sciences sociales à Chicago. Et s’il compte œuvrer depuis les Etats-Unis pour l’institution califale, c’est forcément un peu pour revendre des sciences sociales…

Mais nous nous exprimons dans des contextes différents. Moi ce que j’ai à revendre, c’est repenser la neutralité laïque sur des bases batesoniennes*. Rappeler la science du Social à son inscription dans la matrice monothéiste*, un ensemble organiquement structuré, et donc reconsidérer l’isotropie* de l’espace social postulée jusque là (son invariance vis-à-vis de la direction dans cette matrice). Avec ce petit modèle, j’essaie de pointer une dimensionnalité épistémique* propre à l’aire culturelle monothéïste*, qui doit valoir aussi pour le Social*.
Dans le contexte pragmatique anglo-saxon, ce genre de questions théoriques ne se pose simplement pas. Cela n’empêche que les deux puissent être complémentaires…