Table des matières
Mon pucelage
Premier jet au 14 mars 2022. Ça va être un chantier…
En même temps j'ai l'impression de redire ce que j'expliquais dans la page Joseph et Zulaykha…
Le Gorille (introduction)
« C'est aujourd'hui que je le perds! ». En 1952, aux premières lueurs de l'aube post-coloniale, un puissant gorille ébranle l'ordre bourgeois, dans l'imaginaire d'un certain Georges Brassens. Et comme le singe « ne brille ni par le goût ni par l'esprit », il se tourne vers la robe d'un magistrat. Je me suis orienté vers les sciences sociales dans des circonstances assez analogues - juste un demi-siècle plus tard.
À mon vingt-et-unième anniversaire, lors de mon tout premier voyage au Yémen (juillet 2001), j'étais toujours puceau. Je suis entré en sexualité seulement à l'automne suivant, dans des circonstances intimement liées à ma reconversion aux sciences sociales. Au fond, je suis passé aux sciences sociales pour repartir au Yémen, la sexualité étant une sorte de sas pour y parvenir ; ou peut-être l'inverse, le Yémen une sorte de sas pour accéder à la sexualité. En tous cas lors de ma première visite dans ce pays, ma fascination était celle d'un grand singe puceau.
Un singe dont la cage s'ouvrait soudain, sans qu'on sache bien pourquoi - « On avait dû la fermer mal », dit la chanson… Je n'avais aucune idée de ce qui m'avait permis d'apprendre l'arabe à Louis-le-Grand, en marge de ma scolarité en classe préparatoire : ni de l'arrière-plan familial1), ni de l'arrière-plan civilisationnel2). La porte s'était ouverte, voilà tout, et j'ai osé la franchir à la faveur des attentats du 11 septembre (voir récit).
Ma qualité de grand singe, je n'ai jamais pu l'oublier, parce que j'ai fait le choix de travailler avec Jocelyne Dakhlia, qui était à la fois historienne et très littéraire de formation, et qui refusait absolument de s'aventurer sur ce plan. Mais c'est bien moi qui avais choisi, après un premier tour de piste (premier terrain et premier mémoire), de me remettre dans cette cage-là. Plus que sur la société yéménite elle-même, mon travail a toujours porté sur la scientificité de l'observation ethnographique, voire sur la condition du scientifique dans la cage des sciences sociales. Ce n'était pas la direction de Jocelyne Dakhlia qui me pesait particulièrement, plutôt les sciences sociales positivistes et modélisatrices dont j'ai toujours trouvé - comme dans la chanson encore - qu'elles n'avaient guère de suite dans les idées….
Quoi qu'il en soit, je crois qu'il faut encore développer, car c'est peut-être la clé de tout ce que j'essaie d'expliquer depuis des années, de tous mes matériaux sur l'expérience de la honte, aussi de tous les malentendus rencontrés. C'est la clé pour comprendre pourquoi je m'obstine, pour comprendre qu'on ne me fera pas taire.
« Je me demande si tout ce que je fais,
je ne le fais pas à la place
d'une chose que je veux faire encore plus,
et les questions remplissent ma tête. »
Ani Difranco, Joyful Girl (1996)
Volet Yéménite
La chasteté consentie
21 ans, c'est tard selon les critères occidentaux, c'est tôt selon les critères Yéménites, ou du moins selon les critères taezis citadins. Au Yémen on se marie en général après ses études, et il n'y a pas de “petite amie”. Je reviendrai plus loin sur les écarts de conduites, et leur gestion selon les différents milieux, mais on ne comprend rien si l'on ne commence par percevoir d'abord ce fait brut, qui a été mon premier constat. Lorsque je découvre le Yémen, je découvre une classe d'âge éloignée du mariage, et qui ne le vit pas forcément mal. Une classe d'âge qui patiente, où la patience est possible, parce que les rapports sociaux sont fondés sur la pudeur. C'est de là que vient le choc, la fascination irrépressible.
- Les voyageurs de l'époque coloniale arrivaient en général par le comptoir britannique d'Aden, et s'aventuraient ensuite dans les montagnes, flanqués d'un intermédiaire Taezi.
- J'atterris pour ma part directement à Sanaa, à 2300 mètres d'altitude, directement en contact avec ce fait brut. Et je me tourne ensuite vers Taez en quête d'un terrain commun, pour ne pas rester complètement interdit. Mais toute ma recherche est conçue pour préserver cette intuition initiale, véritable objet de ma fascination.
En fait ce phénomène du retard du mariage, cette chasteté consentie, est plus généralisée encore dans la capitale post-coloniale. Elle est la clé de ce régime, qui s'effondrera en 2011. Mais justement : on ne comprend rien à l'énergie de ce mouvement révolutionnaire, si l'on reste sur les paradigmes de la « frustration sexuelle », et tout ce qui s'y rattache : paradigmes du dualisme cartésien, qui en disent plus les observateurs eux-mêmes et les rapports avec leurs informateurs, que sur ce dont ils prétendent nous informer. C'est très exactement ce que j'essayais d'expliquer dans mon billet Mediapart de février 2011 : « Une révolution bénie? De la pensée systémique en islam ».
Enquêter à contre-courant
Le drame historique de l'enlisement des révolutions arabes, repose sur un quiproquo structurel, construit sur un demi-siècle (voir mon petit théorème). Un quiproquo auquel ma trajectoire antérieure de « physicien puceau » me donnait une chance assez rare d'échapper.
Ainsi, j'ai passé toute mon enquête à protéger mon intuition de la vulgarité intellectuelle des sciences sociales, et de la tendance des Yéménites à m'y acculer. Car telle était la logique de l'ordre post-colonial : l'observateur est parachuté au sommet, telle une pyramide de vieilles boites de conserve, puis tous les Yéménites lancent des cailloux et repartent avec leur petite boite, qu'ils consentent très difficilement à restituer.
Voir aussi la métaphore du gravillon sur le pare-brise (discours lors de la remise du Prix Michel Seurat en 2009).
Cette question a été l'obsession tacite de mon travail, sa pré-condition, dès le démarrage de mon premier terrain. D'où mon alliance avec Ziad, qui avait précisément cette fonction d'incarner la chasteté de mon intuition. Une chasteté que mon entourage intellectuel a toujours refusé d'admettre, ou que j'ai toujours échoué à porter dignement dans la société française (Cf section Valoriser). Mais dans l'ordre de la pensée, la chasteté peut-elle seulement s'exprimer? (Cf section Explorer).
Revisite du clivage quartier / commerçants
Préalables :
- l'index des personnes, pour comprendre la configuration de mon terrain.
- Texte sur le marivaudage de mon premier terrain
Au fond, la configuration de mon premier terrain se ramène à cette question :
- Mes interlocuteurs “raisonnables” sont puceaux (en tous cas en 2003…).
- Ziad ne l'est pas (comment pourrait-il l'être, en tant que Roi de la jungle…).
- Moi je ne le suis pas, pour autant j'aspire à quelque chose de cet ordre.
à sociologiser (là par contre ça devient intéressant…)
⇒ D'où la configuration étrange de mon terrain, exposée dans mon intervention de novembre 2010 « Un fil d'Ariane ethnographique. Homosexualité et réflexivité d'enquête au Yémen ». C'est tout le paradoxe : il me fallait me rendre dans un colloque sur « les homosexualités » pour exprimer ma chasteté.
En fait il me faut prolonger ce texte par rapport à l'expérience ultérieure de la société yéménite, quand l'enlisement de la révolution ne laisse finalement qu'un vent de liberté sexuelle, qui participe d'un effondrement généralisé. Épisode qui reste en travers de la gorge des Yéménites, et que je n'ai absolument pas vécu (c'est bien pour ça qu'ils ne voulaient pas que je revienne…), d'où ma difficulté à échanger avec eux sur cette question.
Volet français
Pourquoi à 21 ans j'étais encore puceau?
= la configuration familiale derrière l'AVC de mon père, le 5 juin 1999 - cf la bulle (notice) - et l'ancrage de l'histoire dans les enjeux de la société française.
à suivre…