Revenons au schéma de départ (celui dont découlent tous les schémas de ce site) : la représentation visuelle d’un petit théorème que j’ai formulé il y a une quinzaine d’années, que j’appelais « théorème de l’enchantement ethnographique » :
Le théorème pose une situation interactionnelle générique, dans laquelle un observateur (supposé européen*) est mis en présence de deux Yéménites, entre lesquels il perçoit une différence, un gradient de modernité*. L’un est un Yéménite « tribal », qu’on suppose originaire de Sanaa ou des Hauts Plateaux ; l’autre un Yéménite « éduqué » ou « cosmopolite », qu’on suppose lié à Aden ou à l’Occident, d’une manière ou d’une autre.
Les couleurs rouge et bleue, sur l’ensemble de ce site, font référence à la problématique du dualisme corps/esprit (voir code couleur). S’il y a un Yéménite rouge et un Yéménite bleu, c’est aussi du fait de la présence de l’observateur, de l’épistémologie* dont il est porteur. Le gradient en question est, pour reprendre l’expression de Gregory Bateson, une différence qui fait la différence, quelque part dans les tripes de l’observateur (sans que celui-ci en ait vraiment conscience), et pas seulement dans le monde extérieur.
Ce que résume la maxime suivante :
En présence de l’observateur,
il y a toujours un Yéménite qui prend la pose
et un Yéménite qui vend la mèche.
Concernant les discussions de méthode dans la mémorisation du Coran, on a essentiellement deux types de recommandations :
Tous les conseils sont bons à prendre, peuvent m’être utiles à moi ou à d’autres ; je ne prétends être au-dessus de personne, et je veux m’inspirer de tous. Mais qu’on me permette tout de même d’exprimer ce constat de départ : le fait qu’on retombe toujours peu ou prou sur ces trois types de conseils, ou sur une combinaison d’entre eux, cela n’a rien de naturel, d’inéluctable ou de sacré. Le dualisme* ne fait pas partie de la volonté divine (même s’il fait partie du monde que Dieu a voulu).
La permanence de cette configuration* indique une seule chose : en France aujourd’hui en 2024, les musulmans déploient des stratégies analogues aux régimes arabes postcoloniaux* qui se sont effondrés en 2011. C’est-à-dire des régimes où l'on se « montrait » beaucoup, effectivement… (voir les images d’Olivier Todd en 1967). Mais la question de l’ostentation n’a plus la même importance dans un état de guerre civile.1) Le monde arabe n’est plus vraiment là où nous le pensons, là où nous continuons de le penser, et il faudrait se le mettre dans la tête…
Bien sûr c’est difficile, à cause des habitudes de chacun : l’inertie des pratiques, des discours et des cadres institutionnels, dans une société de coexistence complexe, partagée avec d’autres croyances et d’autres religions…
Mais la méthodologie coranique n’est pas un domaine où l’on peut se satisfaire de cette inertie, où l’on peut s’y résoudre, au point de sacraliser des symptômes pathologiques. Cette crainte obsessionnelle de l’ostentation est un problème à nous, musulmans européens. Ce n’est plus le problème des pays arabes (contrairement aux années Moubarak), et ce n’est pas non plus le problème de l’Europe. C’est notre problème. Et tant que nous ne surmontons pas ce problème, ce blocage dans le rapport au Texte, d’autres ailleurs continuent d’en payer le prix.
Voir Teaser
Matrice monothéiste
Donc j’ai dessiné cet autre schéma (tout en haut), d’un observateur qui se confronte à la parole d’Allah en conscience, en assumant la responsabilité de ses représentationsGB8, plutôt qu’en les reportant sur le monde extérieur.
Mais là encore le schéma est transposable, en sens inverse : il exprime parfaitement la condition d’anthropologue-musulman*, immergé dans l’unité du monde, à partir d’un engagement ethnographique multisitué*.
D’ailleurs j’ai déjà exprimé la même idée dans d’autres dessins (ci-dessous) :
• soit en plaçant le premier schéma sous l’œil d’un microscope (qui symbolise la structure qui relieGB5) ;
• soit en dessinant un objectif rouge et bleu (qui symbolise ma position à Taez vers 2008-2010, dans les dernières années de mon engagement).
Ce cheminement d’anthropologue a-t-il été utile (au-delà de ma conversion à l’islam), ou bien n’a-t-il été finalement qu’une perte de temps, et de neurones ? Est-il utilement transposable dans une démarche d’apprentissage coranique, et si oui dans quelles conditions ? Avec quels effets ? Telles sont les questions que j’entends poser à travers cette nouvelle section.
(Premières pages en cours de rédaction…)
Antony, le 28 septembre 2024
(à migrer progressivement ici)
L'enchantement ethnographique sous l'éclairage de l'anthropologie batesonienne
⇒ La tautologie de mon enquête.
L'observateur et la crise yéménite (schéma 2021)