Suite de mon texte La jeune fille de ma maîtrise : qu'y a-t-il à observer dans ces lettres?
Quel rapport entretiennent-elles avec le “paysage” que j'ai arpenté les dix années suivantes (qui était déjà à peu près fixé dans ma maîtrise)? D'abord une métaphore.
Lorsqu'il arrive sur le terrain, l'ethnographe rumine depuis longtemps son voyage. Le processus me fait penser à une sonde envoyée sur Mars, qui sommeille telle une chrysalide pendant un long voyage, et qui déploie soudain des ailes de papillon : un parachute, divers appareils de mesure, de carottage et d'exploration ; qui creuse ici, découpe et visse là, s'implante en un mot, tout en envoyant des données vers la Terre. Mais l'ethnographe se tient prêt aussi à comprendre autre chose, qui n'était pas forcément compris dans ses questions de départ. Moi qui pensais m'ancrer sur le roc, je réalise peu à peu que le sol est mouvant. Je me suis posé sur le dos d'un gigantesque organisme, peut-être un ver, qui va bientôt m'engloutir moi et tous mes appareils. Enfin je ne le réalise pas encore, pas au cours de ce premier séjour, parce que tous mes interlocuteurs tiennent à me tranquilliser - ils ne veulent surtout pas me voir remballer tous mes appareils et repartir… Le clivage sociologique qui s'installe (quartier vs. commerçants), porte en réalité sur la posture à adopter face à moi, entre les partisans de mon initiation et ceux qui considèrent au contraire qu'il ne faut surtout pas que je sois initié.
Pour que l'enquête soit possible à l'ère postcoloniale, il faut que quelqu'un croie à l'initiation de l'ethnographe. Mais une initiation dans un sens restreint : pas question de me convertir à l'islam ; je veux être initié au “social”, à ce qui constitue un objet pour ma discipline, un support laïque de compréhension mutuelle. (Voir aussi partie suivante : les rapports avec ma petite amie sont un baromètre de ce qui se passe sur le front de mon initiation, à tous les stades de l'histoire). Bien sûr je privilégie l'alliance de ceux qui souhaitent mon initiation. Mais je reste dépendant de tous mes appareils, que ne tardent pas à s'approprier mes interlocuteurs même les plus “sauvages” (ou “tribaux”), ce dont je ne peux que me réjouir. Bientôt Ziad se retrouve en minorité dans son propre camps, contraint de se retirer…
(Octobre 2018, “Al-Jazeera Direct” pose sa caméra au Hawdh al-Ashraf).
Le point d'aboutissement de ma première enquête (voir l'épilogue à la p.110 de mon mémoire), c'est une situation où les tribus se sont appropriés les armes de l'ethnographe, et tirent dans tous les sens. J'associe spontanément à ces autres images filmées par al-Jazeera quinze ans plus tard, à 100 mètres de la maison de Ziad : les deux scènes se superposent à présent dans mon esprit. Mais sur le moment, je le raconte à ma petite amie avec une certaine euphorie : c'est un moment irréel, comme suspendu, dans ma lettre du 27 septembre 2003 Ici à Taez. Il reste encore quatre semaines avant mon vol retour, et toutes les perspectives semblent s'ouvrir à moi, toutes plus séduisantes les unes que les autres. En réalité, tout est sûr le point de s'effondrer : le 29 septembre, l'incident grotesque avec Nabil est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, et finalement je me réfugie dans les bras de Waddah (4 octobre). Pourquoi ai-je fait cela, alors que tout s'ouvrait à moi? J'ai passé toutes les années suivantes à me le demander…
Cinq ans plus tard début 2008, je formulerai mon petit théorème de l'enchantement ethnographique : « En présence d'un observateur occidental, il y faut toujours un Yéménite qui prend la pose et un Yéménite qui vend la mêche ». Je viens alors de me convertir à l'islam, et cette remarque doit me permettre de reprendre toute l'histoire à nouveaux frais.
Mais en réalité, cette idée est posée clairement dès 2003, dans ma lettre du 4 septembre : Histoire de ma naturalisation. À ce stade du processus d'“implantation”, j'ai pleinement conscience du rôle respectif des commerçants et de l'entourage de Ziad, de leur complémentarité fonctionnelle du point de vue de l'apprentissage ethnographique.
Mais début septembre, Ziad vient à peine de rentrer de Sanaa, et l'intrigue du Za'îm ne fait que commencer. Peu à peu, c'est une autre lecture qui viendra s'imposer : la dialectique entre un psychotique et la société ordinaire. Cette lecture est posée dès le 18 septembre, dans ma Lettre de rentrée à mes interlocutrices académiques, et encore le 21 dans mon mail collectif Petite carte d'Aden : je sors la tête du guidon le temps d'une escapade, qui me permet de prendre un peu de recul, et je présente toute l'affaire comme une sorte de sitcom…
Qui est fou dans l'histoire? Ziad ou bien ses camarades?
En France c'était l'époque de Loft story, la naissance de la téléréalité, un rapport au réel et un mode d'existence qui s'est complètement généralisé aujourd'hui, mais à l'époque nous regardions ça avec un peu d'incrédulité… Or voilà que je découvrais quelque chose d'analogue, dans le fonctionnement des Yéménites avec l'hôte Occidental.
Dans ma maîtrise, cette tension entre adhésion et incrédulité sera au coeur de mes analyses sur le charisme du Za'îm. En fait le basculement se joue dans ces trois semaines au mois de septembre - parce que j'ai déjà arpenté le quartier en amont au mois d'août, et je pourrai raffermir mes interprétations en aval au mois d'octobre, en revisitant mes matériaux aux côtés de Waddah. À cette époque, j'ai totalement conscience d'avoir co-construit la figure du Za'îm par mon alliance avec Ziad - d'où la dédicace sur la page de garde, qui pose Ziad comme mon véritable interlocuteur.
Mais le véritable mystère, c'est qu'on ne m'a pas laissé le choix : la figure du Za'îm était bel et bien réelle. La société s'était mise en mouvement, puis tout s'était effondré sous mon regard. Était-ce donc un mirage? Une forme d'affolage comme je l'affirmerai plus tard, reprenant un terme utilisé en banlieue? C'est l'option que je choisis dans ma maîtrise et mes premières études : dans un cadre sociologique inchangé (le traditionnel “antagonisme socio-politique”…), j'observe d'étranges comportements (affolage, homoérotisme…). Mais trois ans plus tard, cet effondrement est sanctionné par la mort de Nabil, et encore quatre ans plus tard par 2011 et l'effondrement du Régime… Ce n'était donc pas un mirage.
En fait c'est seulement dans le cadre de l'écologie mentale que le déroulement de ce premier terrain peut s'analyser proprement. Il faut partir du principe que les idées sont motrices, et que le réel se constitue sous le regard de l'observateur.
À la relecture de ces lettres, ce qui me frappe d'abord, c'est à quel point j'ai les yeux ouverts tout du long. Je parle souvent d'un observateur dans un théâtre d'ombres, victime d'un mécanisme qui se tramerait à mon insu - métaphore aux accents coraniques (Coran 2:17-20). En réalité, je suis étonnamment lucide. Je me rends bien compte que le mécanisme est activé par mon regard, mais cette hypothèse entre en contradiction avec ma conception générale du monde - une juxtaposition de causalités sociologiques, psychologiques, politiques ou géographiques… Je sens qu'il y a une clé sous-jacente et je mouline pour la trouver, mais je suis submergé par le réel, qui prend forme encore plus vite sous mes yeux. Jusque dans l'acte sexuel avec Waddah, j'ai eu les yeux grand ouverts, comme je l'ai raconté ces dernières années. Mes yeux ne se fermeront qu'ensuite, vaincus par mon retour dans la société française.
Dans ces lettres, je retrouve aussi les certitudes de ma vie d'avant, que ma petite amie connaît bien. Je les ai constituées les quatre années précédentes, depuis mes premiers pas dans l'apprentissage de l'arabe en 1999. Le regard de ma première enquête est un regard adossé à ces certitudes, mais aussi aux Yéménites. Déjà en amont de ma rencontre avec Ziad, les personnages prennent place, la réalité se constitue progressivement autour de ce regard, le regard lui-même s'installe. On le lit sans difficulté dans mes premières lettres, jusque celle du 15 août : j'affirme alors n'être Sûr de rien, car je savais surtout ce que je ne voulais pas.
Tout à coup avec Ziad, une perspective prend forme. Mais Ziad n'est pas à l'initiative : c'est la société yéménite qui me met au défi d'assumer mon propre regard, et Ziad n'est que l'instrument de cette mise à l'épreuve. Le 16 août, j'outrepasse pour la première fois la place qui m'est assignée par mes interlocuteurs de l'université, en revenant dans le quartier après la fin du mariage. Je me retrouve ainsi introduit chez Ziad, qui d'emblée m'accueille par des déclarations d'amour. Mais celles-ci sont prononcées seulement en public : en fait, Ziad me met au défi d'assumer sur l'honneur la relation qui va nous lier dorénavant. Bien sûr, cette démarche polarise la société locale, entre ceux qui veulent bien être complices de cette alliance (le quartier) et ceux qui préfèrent se montrer sceptiques (les commerçants). Moi j'ai décidé de donner le change, confiant dans les ressources intellectuelles de cette relation grâce à la tournure d'esprit formelle que nous partageons - et me sachant par ailleurs parfaitement couvert par la méthodologie de l'alliance d'enquête. Donc quand Ziad me dit « Je t'aime Mansour! », je pars du principe que c'est une métaphore.
Mais en interne, cette expérience me bouleverse profondément. Car à plus long terme, comment qualifier cet « amour »? Où cela nous mène-t-il? Ça tempête ferme dans le bastingage, comme en témoigne ma lettre datée du 25 août, Ziad et toi. Ma relation de couple m'oblige à mettre au clair beaucoup de choses en interne, très tôt, bien plus que si j'étais seul face à mon carnet de terrain. Après quoi je peux aller plus loin tout seul, et affronter les développements ultérieurs dans le quartier de Ziad.
Passé un certain stade, il est évident que la société locale sur-réagit à cette situation, que Ziad lui-même n'a plus vraiment prise - et bien sûr il ne dit plus « Je t'aime » à ce stade, il ne dit plus rien et se contente d'observer, perplexe lui-aussi. C'est une situation passionnante, donc je passe des heures sur mes carnets de terrain, et j'ai moins besoin d'écrire à ma petite amie.
Puis vers la mi-Septembre vient ce moment étrange où mon désarroi est “pris en charge” par les jeunes du quartier, qui se révoltent contre leur “grand frère”. Ils adoptent finalement une posture libérale analogue à celle des commerçants (ce que j'appelle mon “petit printemps arabe”), tandis que Ziad me chasse solennellement avec l'aide de quelques voisins “islamistes”. Cette période était très éprouvante mais pas d'un point de vue intime, plutôt stressante d'un point de vue moral et intellectuel. J'ai conscience d'être piégé dans une sorte de sitcom (voir ma Petite carte d'Aden du 21 septembre), et je ne peux pas tout lui raconter tout le temps, mais il est évident que je ne la trahis pas.
Plus que sur un plan intime, la situation est déstabilisante sur un plan métaphysique. Après la réconciliation formelle avec Ziad et son retrait dans son village, les questions posées sont abyssales. Je n'ai pas le moindre commencement de réponse… à moins que je ne me convertisse à l'islam. C'est bien cela en fait que vise Ziad, derrière notre retrait à la campagne - d'ailleurs j'évoque longuement la religion dans mon mail du 24 septembre, adressé à mon ami Thierry. Mais dans ce cas je reprendrais tout à zéro, j'oublierais ma maîtrise, ma reconversion aux sciences sociales - et bien sûr ma petite amie, que j'ai rencontrée à la fac. Je n'étais absolument pas prêt à faire le pas. C'est pourquoi je retourne à Taez pour finir mon enquête : je replonge dans le sitcom, presque en connaissance de cause.
En l'absence de Ziad, plus personne pour mettre à jour le caractère factice de l'exercice. D'où une sorte d'euphorie, le constat d'une intégration apparemment réussie, ouvrant à l'enquête toutes les perspectives possibles (Ici à Taez, mail du 27 septembre 2003).
C'est dans ce contexte qu'intervient l'incident avec Nabil (simulacre de tentative de viol, le 29 septembre au soir), qui me plonge dans les bras de Waddah (le 4 octobre au matin). Le paradoxe de cette situation, c'est que je couche pour les sciences sociales. C'est cela qui prend Waddah au dépourvu, comme j'en ai l'intuition depuis longtemps (pourquoi j'ai violé Waddah, texte de 2021). Je déplace l'interaction sur le terrain sexuel pour chasser les fantômes, pour retourner en France avec les idées claires, et être ainsi fidèle à la jeune fille. L'essentiel est que « j'ai enfin trouvé quelle est ma position par rapport a l'islam, qu'est-ce que j'ai de musulman, pourquoi je ne me convertis pas » (mail du 8 octobre). D'ailleurs au moment des adieux (mail du 18 octobre), on voit bien que j'ai remis Ziad à sa place.
« Si sa tunique est déchirée par devant, alors c'est elle qui dit la vérité, tandis qu'il est du nombre des menteurs. Mais si sa tunique est déchirée par derrière, alors c'est elle qui a menti, tandis qu'il est du nombre des véridiques » (Coran 12:26-27)
Dans la mythologie grecque, Achille le héros de l'Iliade a été immergé tout bébé par sa mère dans le Styx, le fleuve de l'enfer, gage d'immortalité. Comme elle le tenait par le talon, cette partie n'a pas été protégée et elle est le seul point faible du héros.
J'ai passé près d'une dizaine d'années (2003 à 2013) à réfléchir à la condition d'ethnographe immergé dans la société yéménite par la grâce de son passeport et des privilèges afférents à son statut d'Occidental : rattaché à l'Empire par sa pratique quotidienne de l'écriture, et prétendant en même temps interagir avec la population locale dans un rapport d'égalité. De cette réflexion, j'ai tiré quelques enseignements sur les contradictions liées à la ville de Taez sous le précédent régime, et sur la déformation structurelle des perspectives sociologiques sur ce pays. Enseignements dont je pense qu'ils auraient pu être utiles après 2011 et dans la décennie suivante, quand les Yéménites ont souhaité prendre en main leur destin. Seulement voilà : j'avais un talon d'Achille.
Menée au cours des années 2000, soit en amont de l'explosion révolutionnaire, ma recherche reposait sur une problématique très spécifique en apparence - le rôle de la vulgarité dans la sociabilité masculine urbaine - et sur l'observation d'interactions micro-sociales dans un cadre très localisé. Elle reposait par ailleurs sur une configuration relationnelle assez étonnante, instaurée lors de mon premier séjour dans des circonstances énigmatiques (“petit printemps arabe dans un verre d'eau”…) que je n'avais pas totalement éclairci à l'époque. Bien évidemment qu'il s'était passé “quelque chose” : je n'en parlais pas explicitement dans mes travaux, mais je ne m'en cachais pas non plus. Comme souvent en anthropologie, j'avais construit toute mon enquête à partir d'une expérience personnelle de déstabilisation subjective, selon une procédure totalement balisée par la méthodologie de l'ethnographie réflexive. Cette déstabilisation, je l'énonçais à l'époque en termes d'homosexualité, d'abord faute de savoir la dire autrement, puis pour des raisons politiques plus générales : en censurant mon passage par l'homosexualité, j'en aurais fait une histoire personnelle et j'aurais moi-même démoli tout mon argument…
Pour toutes ces raisons, on pouvait facilement retourner tout mon raisonnement : affirmer que mes observations n'avaient rien de structurel et que je m'étais mis tout seul dans ce pétrin, en nouant avec les Yéménites des rapports non-adéquats. Cela venait rarement de la communauté des ethnographes et des anthropologues, mais l'objection était inévitable auprès des sciences sociales plus “objectivistes”, comme les sciences politiques : « Prouvez-nous qu'il s'agit de plus qu'un minuscule carrefour… » Or j'étais peu armé à l'époque en philosophie et en histoire des idées, du fait de ma formation initiale scientifique et expérimentale. Quant à la communauté musulmane, implicitement, elle considérait mon égarement dans les sciences sociales comme une erreur en soi. Les diplômés exigeaient, en gros, que j'oublie tout ce que j'avais appris avant la conversion pour les écouter eux. D'où l'isolement intellectuel dans lequel j'ai travaillé toutes ces années, dont je n'ai jamais vraiment pu m'extraire. J'ai donc finalement été contraint d'abandonner ma thèse, et de laisser le Yémen aller vers son destin.
La situation est différente aujourd'hui car ces toutes dernières années, j'ai fait toute la lumière sur les évènements de ce premier séjour.
J'invoque l'exemple du prophète Joseph et de sa chemise déchirée. Coucher pour les sciences sociales, ce n'est pas coucher pour accéder au terrain. Dans le second cas, on cherche à s'introduire quelque part ; dans le premier, on cherche à sauver sa santé mentale, quand la société ne vous a pas laissé d'autre choix. Il doit exister des situations intermédiaires, j'imagine (voir ici comment Florence Weber se dépatouille de cette question). Mais dans mon cas les circonstances ne trompent pas : ça se passe au moment où je vais revenir en France, c'est ce qui permet mon arrachement au terrain et mon passage à l'écriture. Et pourtant, on refuse de faire cette distinction. On persiste à me dire que j'ai couché sur le terrain (encore au colloque d'Exeter en 2019…), que je suis allé « trop loin » dans l'engagement personnel…
Rappelons les règles du jeu, que le lecteur a peut-être perdu de vue (je renvoie aux textes méthodologiques de Florence Weber, qui font références dans ce domaine). Le principe de la méthode ethnographique, c'est de produire une description à partir d'une place. C'est d'ailleurs la différence avec l'anthropologie des grands paradigmes (marxisme, structuralisme), dominante jusque vers les années 1970 : à cette époque, la description du chercheur s'adossait à une théorie générale de l'Humain, qu'il s'agissait de confirmer, éventuellement d'affiner sur un terrain particulier. Mais tous ces grands modèles sont ébranlés par la Décolonisation, par la critique féministe, et par le linguistic turn (à quoi s'ajoute, pour ce qui concerne le monde arabe, la critique de l'Orientalisme). Dorénavant la règle du jeu, c'est d'être au clair sur d'où l'on parle. Le chercheur débarque quelque part, il noue des relations à l'instinct, parvient confusément à occuper une place. Son travail est de comprendre où il a atterri, pourquoi il a vu ce qu'il a vu.
L'homoérotisme est un très bon exemple : je peux avoir vu des comportements “homoérotiques”, et je peux en tirer des statistiques sans intérêt, par exemple sur le degré d'efféminement des hommes selon les régions et les milieux sociaux. Beaucoup d'analyses de sciences politiques ne vont pas vraiment chercher plus loin, si on les dépouille des subtilités dont elles se parent. L'analyse sera plus intéressante si on rapporte ces perceptions à un processus ethnographique situé…
En réalité je n'ai pas couché sur le terrain : j'ai couché hors du terrain, derrière les limites de l'écriture, puis je me suis tu. J'ai ainsi protégé le terrain de mes propres analyses, de la vulgarité intellectuelle ambiante, et c'est ce qui m'a permis de faire aboutir l'analyse ethnographique : comprendre la place qu'instinctivement, je m'étais débrouillé pour occuper (voir l'histoire de Maryam, la clé de cette énigme). Mais tant que les Taezis refuseront de témoigner en ma faveur, et tant qu'ils laisseront Ziad déambuler dans les rues, lui et moi serons tenus pour fous, chacun dans nos sociétés respectives. Car ici aussi la honte nous tient : personne n'acceptera jamais d'amputer de son plein gré sa vision de l'Orient, et d'admettre les limites de nos représentations les plus communément admises.