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Islam muflis : la pathologie dualiste de notre Communauté

« Être en faillite (muflis), vous savez ce que c’est ? », demanda un jour le Prophèteﷺ à ses compagnons. Ils répondirent : « Pour nous être en faillite, c’est quand il ne vous reste ni argent ni biens [pour rembourser vos dettes] ». Il dit alors : « Eh bien dans ma communauté, celui qui est en faillite est celui qui viendra au Jour de la Résurrection avec des prières, des jours de jeûne et des aumônes - mais il aura insulté untel, calomnié untel, mangé le bien d’untel, fait couler le sang d’untel, frappé untel… Alors, telle de ses bonnes actions sera donnée ici, telle autre sera donnée là. Et s’il se trouve à court de bonnes actions avant d’avoir réglé ses dettes, telle et telle de leurs mauvaises actions seront mises à son compte, puis il sera jeté au Feu. ».
Récit authentifié par la communauté des savants du hadith.

A. Le frère Ahmed m’a dit un jour, comme je tentais de lui parler de Ziad : « Mais est-ce que je te parle de ma grand-mère ?? ».
B. Le frère Badr m’a dit une autre fois : « Mais pourquoi tu te focalises sur ces gens ? Les Yéménites sont un bon peuple, mais dans chaque maison on trouve des WC ! (Fî kulli bayt hammâm !) ».

ASCII���Screenshot Photos de Ziad postées sur Facebook en 2021 (accompagnées d’interviews par des acteurs caritatifs locaux).

Mawlîd 1436

Ahmed et Badr habitent tous deux à Sète, la ville où je suis parti vivre début 2014, pour tourner la page après l’échec de ma thèse.
Ahmed habite au centre ville. Il a grandi dans une grande ville du Maroc, est venu en France poursuivre ses études de mathématiques, et a ensuite travaillé comme enseignant dans le secondaire.
Badr a grandi dans une région reculée du territoire marocain. Après des études de sciences religieuses qui ne lui ont pas donné de travail, il est venu travailler en France dans des emplois peu qualifiés. Il vit à la ZUP depuis une trentaine d’années.
Deux franco-marocains, deux trajectoires sociologiques parallèles, opposées au départ et à l’arrivée : des marges désertiques vers les marges urbaines, des centres urbains vers les centres-villes. Mais tous deux sont engagés dans la même association locale, qui organise des « assises » pour les jeunes.

Je suis invité à une telle soirée, pour célébrer l’anniversaire du Prophèteﷺ (mawlid) le 12 Rabi’ al-awwal 1436, vendredi 2 janvier 2015 au soir (c’était quelques jours avant les attentats de Charlie Hebdo). Je n’ai pas pris de notes, n’ayant jamais eu l’intention d’écrire une thèse sur les musulmans de Sète : je me souviens seulement avoir créé un certain malaise. De mon point de vue, l’exemple du Prophèteﷺ ne peut être transmis que par des personnes réelles, dans des situations réelles. « Sa morale était le Coran », rapporte un hadith authentique. Donc il s’agit d’appliquer les principes clairement exposés dans ce Livre, et ce dans des situations réelles.
Tu es un Yéménite, un Français tombe du ciel dans ton quartier, qui t’a identifié comme une personne très intelligente. Et de fait, tu viens d’obtenir ton diplôme de mathématiques comptables, classé premier de l’Université… J’ai insisté pour revoir Ahmed, afin qu’il comprenne notre histoire avec Ziad, mais la discussion s’est terminé comme ça : « Est-ce que je te parle de ma grand-mère ?? ».
Par la suite, Badr est venu me voir devant la mosquée, pour me dire ce dicton : « Dans chaque maison on trouve des WC… ». Sa remarque témoignait d’une incompréhension réelle, et en même temps d’un étonnement sincère : il ne comprenait pas que ces gens aient pu porter témoignage, que sans eux peut-être je ne serais pas devant lui. Badr comparait mes interlocuteurs à des excréments, mais sur la base d’éléments que je lui avais moi-même fourni ! Exactement le paradoxe auquel j’ai été confronté tout au long de mon enquête au Yémen, et dont j’ai fini par m’extraire par la conversion. Mais comment lui expliquer ? Badr a une famille, un travail fatiguant, je ne vais pas lui tenir la jambe là tout de suite, sur le parking de la mosquée…

Dans cette petite ville de Sète, je n’ai jamais pris de notes, je n’étais pas là pour écrire une nouvelle thèse. J’espérais juste que des musulmans, quelque part dans mon pays, comprennent la relation qui me lie à ces gens dans cet autre pays, justement en train de basculer dans la guerre. J’ai fini par quitter cette ville huit ans plus tard, sans y être parvenu.

Introduction

Qu’est-ce qui rassemble cette Communauté finalement, l’amour d’Allah ou les manœuvres de Shaytân ? « Il vous voit, lui et ses suppôts, d’où vous ne les voyez pas… » (7:27). Allah nous met en garde dans le Coran, mais savons-nous seulement anticiper ses ruses ? Savons-nous seulement comment il s’y prend ?

Fait anthropologique de base : nous vivons dans un monde où des pouvoirs centralisés utilisent une civilisation de l’écrit pour contrôler les corps et les âmes. Partout où Shaytan est actif, une forme de dualisme* corps-esprit est perceptible. Et ça dure depuis longtemps, cela remonte presque aux débuts de l’histoire.
Fait historique de base : la voie de la sunna et du consensus est un rempart contre le dualisme, elle l’a toujours été à travers l’histoire, les historiens pourraient en convenir. Mais au présent, il ne suffit pas de se donner quelques cibles identifiées (par exemple la pratique du mawlîd). Car la civilisation Européenne* s'est conçue comme un rempart contre le rempart : nous vivons dans une civilisation du dualisme, où celui-ci prend des formes toujours renouvelées, au sein-même de notre Communauté.

J’ai posé récemment une proposition d’enseignement qui commencerait par une initiation à la problématique du dualisme, et replacerait au cœur de notre tradition les outils de sa critique. Dans le présent texte, je tente d’expliquer l’urgence de cette démarche pour notre Communauté.

L’offre d’enseignement actuelle 

Depuis mon retour en Région Parisienne (2023), je découvre un paysage associatif foisonnant, encore plus riche qu’il y a quinze ans. L’offre de conférences et d’enseignement est particulièrement fournie, mais celle-ci apparaît encore clivée entre deux registres :
1) L’enseignement des sciences profanes - telles que sciences et techniques, économie et marketing, psychologie et développement personnel etc. - mises à disposition de la Communauté, mais rarement de manière problématisée. On n’apprend presque jamais les limites de la technique, les limites du marketing, les limites du développement personnel. Dans ces conférences technophiles, on vous explique que ces savoirs sont merveilleux pour « le musulman », rarement à être musulman à travers un usage raisonné de ces savoirs.
2) L’enseignement de l’orthodoxie religieuse, selon la voie de la sunna et du consensus (ahl al-sunna wal-jama’a). Mais là encore, on transmet un savoir clos sur lui-même, comme venu d’une autre planète, censé constituer le remède miraculeux à tous les maux de cette planète-ci. Ça fait pourtant quatorze siècles que ledit remède est sur cette Terre, qu’il contribue à produire le monde que nous connaissons, mais on vous explique rarement les choses sous cet angle.

On a le conférencier « UOIF » et l’enseignant « salaf », en schématisant un peu : les deux profils auxquels les mosquées font appel, alternativement, pour former intellectuellement les jeunes générations. Pour compléter le tableau sociologique, il faudrait ajouter le mouvement tabligh, dont l’approche est plus pragmatique : l’essentiel est de sortir vers les autres (khurûj), et l’impact se joue dans la générosité de la démarche, la sincérité pour Allah, quitte à ce que l’orateur soit moins précis dans son propos (baraka Allahu fihim…). Mais beaucoup de mosquées veulent développer des enseignements pour « monter en gamme », aussi pour des questions de rivalités internes, qui existent dans chaque lieu de culte. Elles sont alors confrontées à l’antagonisme de ces deux tendances, qui ne savent pas se parler, dont chacune aspire à une forme de monopole…

Entre ces deux profils la discussion est rendue difficile, voire impossible, par certains partis pris fondamentaux sur les plans juridiques et théologiques. D’ailleurs leurs héros ne sont pas les mêmes :
- Al-Ghazali pour les uns, le kalâm et la théologie ash’arite (Qatar, Maghreb et Mauritanie…).
- Ibn Taymiyya pour les autres, la théologie néo-hanbalite, jusqu’aux savants saoudiens contemporains.
Tout cela peut donner l’impression d’une grande richesse : les communautés musulmanes occidentales seraient-elles le creuset d’un formidable renouveau intellectuel, qui raviverait spontanément la disputatio théologique d’antan ? Certains veulent le croire mais ce n’est évidemment pas le cas. Il faut bien l’admettre (car nous en sommes tous là…) : on est plutôt dans l’ordre du pastiche. Contrairement aux modèles médiévaux dont ils se réclament, qui prenaient à bras le corps la conscience intellectuelle de leur temps, ces postures sont largement déterminées par des paramètres sociologiques.

Si ces enseignements sont si peu compatibles, c’est parce qu’ils proviennent généralement de trajectoires diamétralement opposées, avec peu de conscience réflexive*, mais des partis-pris tranchés quant au « problème éducatif musulman ». Pour le dire schématiquement encore :
Les conférenciers « technophiles » n’ont pas d’inquiétude quant à leur religion : ils ont souvent grandi au sud de la Méditerranée, bénéficié du système éducatif d’un État-nation indépendant, ou ils sont les enfants obéissants de telles trajectoires. Ils ont acquis des diplômes universitaires, ont exploré avec curiosité plusieurs domaines du savoir moderne, qu’ils ont accordé à leurs convictions religieuses. Et c’est à leurs yeux cette démarche-là, l’acquisition sans complexe des sciences modernes, qui doit être imitée.
Les enseignants « salafs » sont plutôt des enfants en rupture, partis en quête d’un ailleurs, qui se sont formés au prix de sacrifices personnels importants, en langue arabe et dans les sciences religieuses. Ils ont ensuite cette démarche de traduire et de transmettre en français, « pour planter une graine », disent-ils, mais ce n’est jamais assez. De leur point de vue, ce sont vraiment les sciences religieuses qui sont négligées.

Toutes les trajectoires ont leur mérite, et beaucoup sont hybrides bien entendu. Je force le trait non pour caricaturer des individus, mais pour pointer à l’échelle collective un clivage persistant, dont il faut commencer par prendre acte.
J’aimerais maintenant replacer ce clivage dans le moment historique que nous traversons, que je nomme pour ma part ère postcoloniale tardive* : ce moment où les failles du projet national sont devenues visibles, sans qu’on ait encore vraiment conçu d’alternative. Car déplacer le projet national vers l’islam pour repartir de plus belle, toutes contradictions maintenues, ne constitue pas une véritable alternative.

L’Islam postcolonial tardif 

Quand je travaillais sur la société yéménite, entre 2003 et 2010, j’avais fini par formuler ce petit Théorème de l'enchantement ethnographique :

« En présence d’un observateur européen,
il y a toujours un Yéménite qui prend la pose
et un Yéménite qui vend la mèche »

Les images d'Olivier Todd en 1967

Les régimes postcoloniaux* ont toujours impliqué une forme de mise en scène. Depuis l’origine, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » exigeait que la société se constitue au préalable comme peuple, qu’elle dispose en premier lieu de sa propre image, sous le regard de la caméra. Le peuple devait s’y montrer fidèle à son identité propre, et aussi simultanément tourné vers l’avenir, prêt à s’emparer des outils autrefois réservés aux Européens.
Génération après génération, les Yéménites ont intégré cette injonction à mettre en scène sa modernité*, de manière individuelle ou collective. Surtout à Taez et dans la capitale Sanaa, la sociabilité urbaine impliquait cette compétence duale : savoir endosser tantôt le complet veston ou porter la jambiyya° selon les circonstances, selon la position occupée par chacun, dans les configurations* de pouvoir et d’hospitalité.
Au fil des années, cette injonction rendait le jeu social de plus en plus complexe, l’interaction de plus en plus opaque. Il fallait constamment l’anticiper dans le comportement des autres : guetter l’appartenance tribale derrière le guichetier, et le fonctionnaire derrière l’homme de tribu. La société taezie des années 2000 se montrait obsédée par l’abus, le travestissement, l’intersexuation*. Au point qu’il puisse sembler nécessaire d’initier l’observateur étranger, de lui apprendre à manier l’insulte, l’art de la boutade sexuelle, « afin qu’il sache se défendre » (cf mon enquête sur la vulgarité). Dans les discours, on attribuait la corruption tantôt à Sanaa et à l’arriération tribale, tantôt à Aden et au mélange cosmopolite. Mais au fond les Yéménites étaient conscients de leur propre corruption, la participation active de chacun, à la perpétuation d’un ordre politique fondamentalement pervers. Et voici qu’en 2011, cette conscience collective apparut soudain au grand jour, en pleine dignité…

Dans la France postcoloniale, certains modes d’organisation de l’islam sont depuis l’origine hérités des États-nations indépendants. Sociologues et anthropologues insisteront plutôt sur les velléités « néocoloniales » de l’ancienne métropole, car ils ont rarement les deux en perspectives. Mais le converti lui s’en rend compte : l’appartenance marocaine facilite, quand il s’agit de déléguer un musulman de type A ou de type B, selon qu’il s’agit d’échanger avec un maire de droite, sur du dialogue interreligieux, ou avec un élu de gauche sur du travail social… Quitte à ce qu’Ahmed en tire un poste au lycée catholique local, et Badr un appartement HLM. L’association musulmane gère avec pragmatisme son insertion dans un système injuste, tout comme le jeune État indépendant au sein de la « Communauté Internationale ». Et bien sûr, l’appartenance nationale permet une connivence, offre un lexique partagé, malgré la distance sociologique qui sépare Ahmed et Badr - et qui les sépare doublement. Au sud de la méditerranée, plus personne ne rêve de « révolution nationale », mais l’islam au Nord persiste à se construire selon ce modèle-là. Comme dans une communauté nationale, on a intégré l’impératif de « faire avec tout le monde », de « conjuguer tradition et modernité ». Ce mode de fonctionnement dualiste est fondamentalement pervers, et la paralysie pathétique des régimes arabes, jusqu’à 2011, était là pour nous le rappeler. Depuis le basculement du Moyen-Orient dans la guerre, les musulmans du Nord peuvent prendre leur désirs postcoloniaux pour des réalités.

Ainsi, les musulmans de France vivent l’évolution inverse des Yéménites : ils sont tendanciellement de moins en moins conscients de leur propre corruption - des motivations bêtement « sociologiques » derrière l’adoption de telle ou telle posture théologique, par exemple. Sous la colonisation subjective des technologies cybernétiques, ils sont de plus en plus intransigeants dans leurs discours, mais de moins en moins sûrs d’eux. Et les responsables d’association s’en accommodent très bien : on donne la parole alternativement aux uns et aux autres, qui finalement l’acceptent, et cette coexistence harmonieuse produit une sorte d’enchantement. Tout se passe comme si la Communauté s’hypnotisait elle-même, en s’enfonçant dans son fauteuil de spectateur, face à un spectacle qui apparaît de plus en plus réel.

Pendant ce temps les Yéménites descendent aux enfers. Ils paient leur corruption dans ce monde : eux ne la paieront pas dans le suivant. Et au sortir du processus, là-bas, ils sont toujours vivants.

Une forfaiture cybernétique

De 2003 à 2010, je me suis débattu avec l’illusion sociologique* : dans les contradictions du Yémen postcolonial, mais sous le regard et l’intelligence des Yéménites, sans lesquels je n’aurais pu en sortir par le haut. Toute ma thèse était construite sur cette problématique, il ne manquait que la connivence du lecteur musulman francophone, que je n’ai jamais obtenue. Pourquoi ?

Initialement je l’ai pris comme une épreuve, j’ai voulu croire en la lucidité supérieure de la Communauté. Seulement les années passent, et je cherche encore cette lucidité. Et je vois par contre ma communauté s’accrocher à d’improbables figures, pour y croire envers et contre tout. J’ai reçu des dizaines de fois la vidéo cette « chercheuse française qui rend justice à l’islam ». Anne-Marie Delcambre (1943-2016) s’exprimait le 18 décembre 2010, lors des « Assises contre l'islamisation de l'Europe » (voire les vidéos suivantes, où son hostilité virulente apparaît plus clairement…). C’est dire à quel point les musulmans prennent leurs désirs pour des réalités, en suivant les réseaux sociaux avec les yeux de la foi. Mme Delcambre incarne ici une figure : celle du bon grand savant occidental, converti à l’islam malgré l’imperfection des musulmans. Mes interlocuteurs semblent avoir besoin de cette figure, dont l’existence justifie toutes leurs transactions dualistes, l’imperfection de leurs comportements dans cette époque troublée. Tel « l’imam caché », le Bon Grand Savant est réel à leurs yeux, qui les rend toujours plus sourds à l’histoire que nous leur proposons.

Anne-Marie Delcambre le 18 décembre 2010 : l’extrait connu par la Communauté.
À contraster avec l’allocution entière, ou son interview au sortir de la conférence par l’éditeur « patriote » Jean Robin, plus explicite encore.

Autre exemple d’évitement de la confrontation intellectuelle, par le déni et l'idéalisation du Bon Grand Savant, cette réception du philosophe Rémi Brague (à contraster avec le débat organisé par Ghaled Bencheikh). Le registre des miracles coraniques, où les musulmans se parlent tout seuls, remplit bien sûr la même fonction (par exemple 23:14 “L’embryologie” coranique).

Et si derrière l’injustice que nous subissons Ziad et moi, il y avait en fait une dimension systémique ? C’est un fait que jusqu’à présent l’islam progresse, bon an mal an, les associations fleurissent, malgré les fermetures administratives et les attaques des médias. En général, on veut voir là l’effet d’une harmonie miraculeuse, d’une baraka, le signe de notre élection. La Communauté a bien sûr ses mauvais élèves : les jeunes qui se garent n’importe comment, qui dérangent les voisins en parlant trop fort, les différents types d’« incivilités » - mais ça ne concerne pas les enseignants et les conférenciers… Pour le reste, la Communauté dort sur ses deux oreilles, sûre de sa bonne conscience malgré les invectives du monde extérieur, qui ne traversent pas les murs de la mosquée.

La Communauté est ici à l’image de la société française globale, dans cette phase « macroniste » où les diplômés ont toujours raison : qu’ils soient de droite ou de gauche, de type A ou de type B, les diplômés ont raison en même temps… Mais cette réussite n’est-elle pas aussi l’effet d’un régime ? L’effet de règles du jeu postcolonial, aujourd’hui obsolètes mais que les diasporas musulmanes contribuent à maintenir, par delà leur obsolescence. Dans la genèse de l’impasse actuelle, les musulmans sont-ils aussi innocents que nous le disent les sociologues de gauche, et que nous nous le racontons dans nos mosquées ?

Avec cet enseignement dual, qui rend les musulmans de plus en plus technophiles, et en même temps de plus en plus orthodoxes dans leurs comportements - mais sans jamais croiser les deux registres, sans jamais mettre l’un à l’épreuve de l’autre : quelle meilleure manière de renforcer la prédictibilité sociale des musulmans occidentaux, et de les rendre finalement gérables par des algorithmes ? La Communauté ne s’est-elle pas mise sous surveillance elle-même, avec cet enseignement décorrélé de toute situation historique réelle, mais toujours plus tourné vers le souci de soi ? Quelle meilleure manière d’encourager la gestion cybernétique des populations à large échelle, et de renforcer l’étau sur les populations « imprévisibles », à l’intérieur (Gilets Jaunes) comme à l’extérieur (Gaza, Yémen) ?

Entré dans l’islam par l’écriture, c’est ma propre inquiétude que je partage ici. À force de guetter les signes de sa propre élection sur les écrans, la « meilleure des communautés » (3:110) ne s’est-elle pas offerte délibérément à l’Intelligence Artificielle ? À force de croire au Bon Grand Savant, ne l’a-t-elle pas aidée à aiguiser ses algorithmes, à affiner ses modèles d’apprentissage profond ? N’est-ce pas là une injustice massive et gravissime, dont nous serons tenus comptables envers notre époque, et que nos adorations pourront difficilement justifier ?

3-17 ramadan 1446
3-17 mars 2025


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fr:methodo:islam_muflis

fr/methodo/islam_muflis.txt · Dernière modification : 2025/03/17 17:55 de mansour

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