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Notre situation aujourd'hui

Premier jet au 23/2/2022.

La diaspora du Hawdh al-Ashraf

Dans la section “comprendre notre histoire”, il n'est question que des années 2000, et en fait seulement de notre interaction1). Aujourd'hui la situation est évidemment très différente.

La plupart des personnes mentionnées dans l'index sont maintenant éparpillées : exilées à Sanaa pour certains (Lotfi et ses frères), à Aden pour d'autres (Ammar H), en Arabie Saoudite (Tahir Nabil, Ammar R), d'autres en Europe ou aux Etats-Unis (Na'if), parfois aussi en Malaisie (Fuwwâz). Beaucoup ont suivi des chemins d'émigration qu'ils préparaient déjà à l'époque, et certains se sont simplement repliés dans les campagnes environnantes (Shakib). S'ils se souviennent avec nostalgie de leur vie à Taez, ils sont aussi passés à autre chose, car le Hawdh n'était en fait qu'une étape.

Conversation skype avec Yazid en octobre 2009.

Yazid et Ziad

Finalement seul Yazid est resté au Hawdh, dans les différentes phases de la bataille de Taez : il s'est accroché à son poste de chef de quartier, et tente encore aujourd'hui d'y survivre avec sa famille, mais la vie reste très difficile.

Ziad était banni à la campagne depuis 2013 (suite à l'affaire Bassâm). Son village d'origine est tombé sous domination des milices houthies, qui l'ont emprisonné, et fin 2018 il a pu rejoindre son frère à Taez. Ziad n'a pas de famille à charge, il vit comme il vivait avant la guerre et avant la révolution, grâce à la charité et en rendant service (comme on le voit dans la vidéo de 2021).

graph LR V{Mansour}:::vert Z{Ziad}:::rouge Y{Yazid}:::bleu S((Sanaa)):::vert A((Aden)):::vert G((Pays du
Golfe)):::vert E((Europe)):::vert M((Malaisie)):::vert J((Gilets Jaunes)):::vert I((Institutions du social)):::vert C((Société civile)):::vert F((Islam de France)):::vert classDef rouge stroke:#CE181E; classDef bleu stroke:#1643e7; classDef vert stroke:#66cc00; subgraph Rapatriement à Sète J --> V C --> V I --> V F --> V end subgraph Notre histoire à Hawdh Al-Ashraf Z --> Y V ==>|dialogue matériel| Y V .->|dialogue théologique| Z end subgraph Diaspora de
Hawdh Al-Ashraf Y --> S Y --> A Y --> G Y --> E Y --> M end

Notre interaction triangulaire

Déjà à l'époque de mon enquête, Ziad ne cherchait jamais à me contacter en France. Depuis mon dernier voyage au Yémen (2010), nos contacts ont été très limités : à part un long échange par écrit au printemps dernier, d'ordre essentiellement “théologique”, nous avons parlé une fois en 2012, et fin 2018 à sa sortie de prison. Pour autant, nous sommes toujours restés liés : Ziad sait la place qu'il a dans mon histoire, et je sais celle que j'ai dans la sienne.

Par contre Yazid et moi n'avons pas cessé depuis 20132) d'échanger de manière très régulière. Nous avions déjà pris cette habitude d'échanger via Skype dans les années 2008-2010.

Au fond depuis cette époque, Yazid et moi avons le même problème : la folie de Ziad. Bien sûr nous l'abordons de manière très différente, mais nous avons cette histoire en commun, et c'est ce qui fait la qualité particulière de cette relation. C'est ce qui nous amène à tenter de nous comprendre l'un l'autre, bien que nous soyons l'un et l'autre embourbés dans nos réalités respectives : lui à Taez face à la guerre, moi à Sète face au marasme des institutions françaises. Mais depuis cette époque, nous sommes guidés par l'intuition que nos problèmes trouveront ensemble leur résolution.

Dettes personnelles, institutionnelles, ethnographiques

Nos rapports s'organisent depuis toujours dans cette configuration triangulaire, parce que s'y articulent différents types de dettes, quantifiables ou pas.

  • Ma dette à l'égard de Ziad n'est pas quantifiable.

Ziad me le disait déjà à mon retour en 2004 : tantôt il voulait que je sois son “psy”, que je règle le problème de ses relations avec les autres, tantôt il s'insurgeait contre le fait que je ne lui donne pas d'argent - tout en ajoutant : “Même si tu me donnes de l'argent, ça ne compensera jamais ce que tu me prends…”

Cette dette n'est donc pas quantifiable, comme la plupart des dettes ethnographiques. On peut résumer ainsi la situation :

  1. L'ethnographie coloniale insistait sur la rémunération des informateurs, précisément pour ne pas avoir à y revenir, et pouvoir analyser les matériaux en toute objectivité.
  2. L'ethnographie post-coloniale prend le contre-pied de cette posture scientiste et “objectivante”. Elle considère que les dettes ethnographiques doivent être assumées, par l'engagement personnel du chercheur3).
  3. Dans mon enquête, ma tentative d'exporter cette méthodologie réflexive sur le terrain yéménite, se résoudre finalement dans une “conversion ethnographique”, à la fois religieuse et laïque (comme je l'explique ailleurs).

Avant cette conversion ethnographique, face au comportement de Ziad, je ne savais réagir qu'en l'enfermant dans une caricature, une masculinité pathologique. Je supposais que Ziad était atteint d'une “maladie de la domination”, maladie dont certains milieux étaient plus atteints que d'autres - la tribu et les milieux proches du régimes, plutôt que les étudiants et les commerçants… De ce présupposé élémentaire découlaient toutes mes spéculations sur l'histoire sociale locale.

Avec ma conversion ethnographique, je reconnais ue dette ineffaçable, “pour la vie”. Et mon analyse n'est plus tout la même (je cesse de “sexualiser” systématiquement les rapports sociaux). Ma dette à l'égard de Ziad est à nouveau gérable, parce qu'elle élargit l'engagement. J'entends dès lors la régler de deux manières :

  1. via un engagement académique, sur la question fondamentale des rapports entre islam et sciences sociales, qui aura des retombées sur la société dont Ziad est issu.
  2. directement auprès de sa famille, via la possibilité d'un engagement renouvelé.

C'est dans ce cadre que de nouveaux rapports se mettent en place avec Yazid, vers les années 2008-2010. Ce nouveau cadre permet entre nous des échanges ordinaires (messages, signes d'intérêt, aides matérielles ponctuelles…) :

  • Mes échanges avec Yazid sont toujours quantifiables.

Ce sont des échanges de personne à personne, prises dans des engagements institutionnels contrastés (Yazid aux prises avec le Régime Yéménite, moi aux prises avec le Régime des sciences sociales), et qui trouvent de ce fait des raisons d'échanger. Ziad a simplement été notre entremetteur, la “marieuse”4) en quelque sorte, en l'absence de mariée.

À suivre…

1)
J'explique dans quelles circonstances j'ai été conduit à rapatrier le regard sociologique, et le type de relation que cela a créé avec mes partenaires yéménites, mais la situation “objective” des personnes n'est pas abordée pour elle-même
2)
Nous n'avions aucun contact entre 2010 et 2013, mais l'affaire Bassâm nous a finalement réconciliés.
3)
Dans certaines situations, la chercheuse peut même se faire payer : c'est l'un des tournants méthodologiques qui se produit avec Jeanne Favret-Saada, et qui provoque sa rupture avec Ernest Gellner.
4)
Je pose ce mot comme une balise, en référence à une histoire qui me semble apparentée : l'agitation actuelle autour de Christiane Taubira : “A gauche, la femme du rassemblement n’est pas parvenue à rassembler. «Ils n’ont pas voté pour une candidate mais pour une marieuse. On leur demande quelque chose d’incohérent avec le projet initial»” Libération du 18 février 2022.
fr/aujourd_hui.txt · Dernière modification : 2022/02/24 10:42 de mansour

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