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Déclinaisons de la racine (kh-n-th)

fr:atelier:methodologie:arabe:intersexuation Sommaire intersexuation

Pour tous les mots arabes dérivés de la racine (kh-n-th), j'adopte la traduction « intersexuation » (lire l'entrée du Glossaire).
⇒ Afin de pallier l'imprécision liée à ce choix, la traduction sera surmontée d'un lien en exposant, indiquant dans cette page la forme verbale considéree.
Par exemple : « Il s'est intersexuéFV7 dans mon giron ».

Note : la racine arabe trilitère

Je reprends ci-dessous les éléments contenus dans l’article خنث / kh-n-th du lisan al-’arab, le dictionnaire classique des racines arabes (rédigé entre le IXe et le XIIIe siècle).

Les bases de la grammaire arabe En effet, la plupart des mots arabes sont construits à partir d’une racine trilitère, à laquelle sont appliqués des schèmes et des formes verbales dérivées. Pour plus d'explications, consulter le tableau ci-contre (très pédagogique malgré plusieurs coquilles), tiré de l’article grammaire arabe, ou bien ce tableau systématique.

La rupture d’un ordre cosmique

En arabe, les mots formés à partir des trois lettres (kh-n-th / خ ن ث) se rattachent tous à une idée sous-jacente, qui est celle d’intersexuation : le fait de ne pas tomber proprement dans l’une des deux catégories, homme ou femme.

Dans la langue écrite de l’arabe classique, le mot de cette racine le plus répandu est sans doute mukhannath, qui signifie l’homme efféminé, et parfois l’homosexuel par extension. Mais le vrai sens n’est pas celui de féminité (unûtha), rendu par une autre racine : la notion insiste plutôt sur le mélange des genres, le recouvrement du masculin et du féminin.

Il est important de replacer cette notion dans une cosmologie organisée par la différence sexuelle, telle que l’a bien décrite Pierre Bourdieu à propos de la maison kabyle :

« la maison s'organise selon un ensemble d'oppositions homologues : feu : eau : : cuit : cru : : haut : bas : : lumière : ombre : : jour : nuit : : masculin : féminin : : nif : horma : : fécondant : fécondable : : culture : nature. Mais en fait les mêmes oppositions existent entre la maison dans son ensemble et le reste de l'univers. (…) Toute violation de l'espace sacré prend dès lors la signification sociale d'un sacrilège » (Pierre Bourdieu, La maison kabyle ou le monde renversé, p.746).

La racine (kh-n-th) a très exactement le sens de ce sacrilège. Partant d’une conception sous-jacente de la sexualité réalisant un ordre cosmique, elle désigne l’exception qui confirme la règle : toute rupture de cet ordre, sans même aller jusqu’à l’infraction sexuelle avérée.

Voir un éclairage batesonien :
fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:intersexuation

Utilisations

Hadiths de la tradition prophétique

Notion de mollesse

« Il s’est ramolli dans mon giron » انْخَنَثَ في حَجْرِي
Aïsha, l’épouse du Prophète, raconte les derniers instants de sa vie, alors qu’il agonisait allongé sur ses genoux. À l’instant de la mort, elle sent le corps perdre sa tonicité : inkhanatha (forme verbale 7 : ajout d'un (in) avant la première lettre de la racine, avec un sens réfléchi, se ramollir).

Notion d’inversion

« Retourner l’outre » اخْتِنَاثِ الأسْقِيَةِ.
Dans un registre plus prosaïque, une parole du Prophète recommande de ne pas boire directement à l’outre (pour les raisons microbiennes qu’on connaît aujourd’hui), et de ne pas la « retourner » : ikhtinâth (forme verbale 8, avec ajout d'un (ta) après la première lettre de la racine : souligne qu’une action ne profite qu'au sujet, et que l’objet est affecté par l’action).


Usages contemporains

Au sens propre

Pardon pour la vulgarité de cette section

« Baiser » خَنَّثَ
Dans la langue arabe parlée (dialecte yéménite), la racine (kh-n-th) donne toute une série de mots extrêmement vulgaires, qui désignent l’acte sexuel disruptif : khannatha. La forme verbale 2, avec redoublement de la seconde lettre de la racine, donne au mot un sens intensitif (violence) ou extensif (durée, répétition, objets multiples).
Noter que pour cette action, le dialecte yéménite utilise la même forme verbale (n°2) que dans le mot « efféminé » déjà évoqué (mukhannath, au participe passé), terme qui appartient au registre soutenu. En dépit de cette convergence grammaticale, le verbe dialectal khannatha désigne tout type d’acte sexuel illégitime, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel.

« L’enculé » مَخْنُوث
Pour désigner l’homosexuel passif, le dialecte yéménite n’utilise pas le participe passé de la forme 2 (déjà pris, comme on vient de le voir), mais la forme verbale simple (n°1), avec une signification simplement transitive : makhnûth, celui qui a été « enculé ».
Comme en français, ce dernier terme est très investi au sens figuré, rassemblant les connotations négatives de « l’enculé » (méchanceté, traitrise) et du « pédé » (lâcheté, mollesse). Mais le terme yéménite comprend peut-être, il me semble, une dimension performative plus marquée : le makhnûth, c’est celui qu’une expérience antérieure a placé dans un état d’intersexuation. La cohérence du stigmate découle du sacrilège, dont l'essence-même est d'être irréversible - du moins dans l’ordre symbolique.

Au sens figuré

« Se prostituer » تَخَنَّثَ
La forme verbale 5, avec ta au début et redoublement de la deuxième lettre de la racine - takhannatha - donne un sens réfléchi-passif : se prostituer dans le travail, dans une situation, être complaisant ou hypocrite…

« Le foutoir » مَخْنَثَة
Le substantif découlant de la forme simple, makhnatha, fait l’objet d’usages figurés extrêmement variés, qui ont retenu ma curiosité…
⇒ Voir la page Makhnatha : l'intersexuation dans mes anciens textes.

  • Lotfi parle d'une « intersexuation de parole » (makhnatha al-laqf) dont il défend l'utilité, dans un contexte où tout le monde « joue sur les deux plans » (rouge/bleu dans le code couleur).
  • « Salope », « Salope-rie », « Saloperie de parole », sont les traductions adoptées dans mon projet de recherche de 2008.

Textes plus récents

Chantier à conclure, sur les rapports entre cette question et la féminisation des sciences sociales :
« Comment je te parlerais, alors que Waddah t’a féminisé ? » (Abdallah, dans ma tentative d’entretien enregistré)