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JVDK : « Dans un film, quelqu'un n'est que forme »
Herman Slobbe - L'Enfant aveugle 2 (1966), 27 min. Film entier visionnable sur OK.ru.
Portrait d'un jeune adolescent aveugle, rencontré sur le tournage de L'enfant aveugle (1964).
Tout est forme
Il est difficile de comprendre que dans un film, quelqu'un n'est que forme. Qu'il ne peut vivre qu'en relation avec d'autres éléments du film. Nous avons uniquement ce qui se trouve sur l'écran. Mais en dehors du film, cette forme vit comme un être humain, une personne qui cherche peut-être une forme. C'est bien cette ambiguïté-là. C'est pour cette raison que j'ai dit dans Herman Slobbe, L'Enfant aveugle 2 : « Tout dans un film est une forme. Herman est une forme ». Et je dis aussi : « A présent nous allons tourner un autre film en Espagne. Nous laissons tomber Herman ». C'est un problème lié à un type de travail cinématographique : le fait de laisser constamment tomber les gens. C'est la grande différence avec le cinéma de fiction, peut-être la seule différence de principe : il n'y a pas l'acteur qui dépose son masque quand il rentre chez lui.
Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.116 (…)
Commentaire
Rarement j'ai vu formuler avec autant d'économie le problème qui se pose à moi avec Ziad.
Mais pas seulement avec Ziad : justement parce qu'il était hors de question de faire de Ziad un « enfant aveugle », j'ai toujours insisté que ma conversion était indépendante de lui. Ou du moins, pas plus liée à Ziad qu'à sa famille, au Hawdh al-Ashraf, à Taez et au Yémen - mais aussi à la Mecque et à Médine, à l'Islam-majuscule* d'une manière générale (l'islam comme réalité sociale, passée et présente).
Justement parce que Ziad n'était pas mon amant, et parce que le faire venir en France n'aurait rien réglé (j'ai toujours attendu que ça vienne de lui, j'attends toujours…). Parce que je n'avais pas de dette envers lui spécifiquement, mais une dette incluse dans une dette plus large, en partie réciproque : la dette du mawla° engage la Communauté (voir la clé de voûte de mon travail).
Du fait-même d'assumer cette dette, pouvait éventuellement émerger une forme, structurant ladite communauté - alors que le sauvetage de Ziad par hélitreuillage aurait laissé le monde pareil à lui-même… C'était à sa famille, à son pays, de l'entourer pour qu'il vienne en France - dès lors qu'à la base, j'étais venu au Yémen pour faire des sciences sociales symétriques. Mais sa famille, son pays n'a jamais compris - en tous cas jusqu'à ce jour…
Voilà comment l'islam transforme et dépasse le problème posé, ici par Van der Keuken, et bien connu de l'ethnographie réflexive.
Johan van der Keuken évoque sa rencontre avec Herman Slobbe et le destin ultérieur de celui-ci (2'20).
(Entretien avec Thierry Nouel en 1998).
Voir également : « Je préfère intervenir, je trouve cela plus moral… »
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