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2:146 Connaissent le livre…
✎ Tiré de sourate n°2 La vache البقرة (médinoise, 286 versets).
{Ceux à qui Nous avons donné le Livre le reconnaissent comme ils reconnaissent leurs enfants. Or une partie d'entre eux cache la vérité, alors qu'ils la savent!} (Traduction de Hamidullah).
⇒ Entête de Section "Méthodo"
(Mentionné également dans Ani et la gamme tempérée).
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…comme ils connaissent leurs propres enfants
16 septembre 2025 (révisé le 30)
Je me suis creusé la tête sur ce verset, dans un premier temps sans consulter les traductions et commentaires : « Ceux à qui nous avons donné le Livre le connaissent comme ils connaissent leurs propres enfants ». Le pronom est supposé faire référence au Livre, comme le laisse penser la phrase arabe elle-même. Mais qu’est-ce que cela veut dire, connaître le Livre comme on connaît ses enfants ?
Quand j’enseignais les mathématiques, je parlais toujours aux enfants du « petit chien », qu’ils doivent garder auprès d’eux quand ils sont absorbés dans leurs calculs, afin que celui-ci aboie si quelque chose ne tourne pas rond. En physique, on appelle ce petit chien l’intuition*. Certains ont dit (des artistes surtout) que l’intuition consiste à garder en éveil sa part d’enfant. Mais plus les années passent, plus il me semble que l’intuition recouvre essentiellement une crainte d’Allah (taqwa). Dans ses transactions quotidiennes, le musulman doit-il s’accompagner d’un enfant, une part de lui-même qui resterait intimidée par la parole d’Allah? Le croyant doit-il développer une intuition du livre ? Ou bien ce verset veut-il nous dire tout autre chose ?
Selon les commentateurs, il faut plutôt entendre « Ceux à qui nous avons donné le Livre » comme une expression d'un seul bloc (« les juifs et les chrétiens »), tandis que le pronom fait référence à tout autre chose (« les musulmans »). En effet, le verset s’inscrit dans un passage (versets 142 à 152) entièrement consacré à la notion de qibla°, au sens littéral (l’orientation pour la prière) et métaphorique (l’orientation religieuse). C’est d’abord cette orientation que désigne le pronom « le », et par extension le message de Mohammed ﷺ conçu comme une voie, un livre plus une sunna°. C’est pourquoi Chiadmi traduit : « Ceux à qui Nous avons donné l’Écriture connaissent bien le Prophète, comme ils connaissent leurs propres enfants ».
Cette formulation apparaît également dans la sourate des Bestiaux (6:20). Cette fois au verset précédent, il est question d’affirmer le monothéisme pur, sans qu’intervienne la notion de qibla. Mais dans les deux cas, il s’agit d’insister sur la mauvaise foi des Gens du Livre qui ne reconnaîtraient pas le message coranique :
• 2:146 : « …ils le reconnaissent comme ils reconnaissent leurs propres enfants. Mais certains d’entre eux cachent sciemment la vérité. »
• 6:20 : « …ils le reconnaissent comme ils reconnaissent leurs propres enfants. Ceux qui font leur propre perte sont ceux qui ne croient pas. »
Voilà donc le sens de cette métaphore : ceux qui rejettent le message rejettent comme une part d’eux-mêmes. Après quoi ils partent la chercher dans leur intuition, cette part d’eux-mêmes dont ils se sont détournés…
⇒ La prise en compte des commentateurs n'empêche pas d'entendre là un enseignement général, quant à la manière de connaître un livre sacré quel qu’il soit. Mais il ne s’agit plus d’acquérir une intuition de la parole d’Allah, ou de rester un enfant toute sa vie dans son rapport au texte. Il s'agit plutôt que cette parole prenne la place de l’intuition elle-même. Car en réalité elle la précède, dans la genèse historique de nos subjectivités (voir section Explorer).
D’où ce que j’essaie de faire : ancrer la parole d’Allah sur la déroute des sciences humaines. Pour éviter que l'islam ne reste alors qu'une intuition des sciences sociales, le « petit chien en laisse » des musulmans diplômés*, génocidable à tout instant par les hiérarchies universitaires*. Ancrer la Parole dans le « ridiculement confus, ridiculement injuste », une condition de bread-and-butterfly (Bateson, d’après Lewis Carroll). Et réciproquement, ancrer ma curiosité pour le monde dans les silences de la parole d’Allah, plutôt que dans ses accents les plus normatifs. S’ancrer sur la déroute, au lieu de prétendre armer les sciences humaines sur la Parole, et réciproquement - ce que les musulmans diplômés essaient souvent de faire. Dans leur monde à eux, on peut devenir musulman « comme ça », c'est l’alpha et l’oméga de la nouvelle ‘aqida° : une performativité néo-hanbalite* sous perfusion cybernétique*. C'est pourquoi je défends la dette spécifique qui me lie à Ziad, en tant que musulman. Dans le monde réel, certains doivent porter témoignage, cela requiert du travail humain. Ancrer la parole d’Allah sur l’absurde, ça ne s’apprend pas « comme ça ». C’est l’unique bonne raison de continuer d’écrire, et mon wiki est fait pour ça : maintenir en éveil la conscience de l’absurde.