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fr:comprendre:processus:le_noeud_24_juillet_2022

Le nœud (octobre 2003 / juin 2004)

Rédigé fin juillet 2022 dans mes dernières semaines en France, coupé de la page d'accueil deux semaines après mon arrivée en Arabie.

Waddah était un ancien du quartier où je venais de passer deux mois, il vivait exilé dans la Capitale depuis quelques années. J’ai passé avec lui les trois dernières semaines de mon premier séjour (juillet-octobre 2003). Waddah acceptait de me parler, mais à l’évidence il était un peu piégé. C’était une relation tendue, dont tout indiquait qu’elle serait sans lendemain : la date de mon vol retour était fixée, il fallait simplement faire bonne figure jusque là l’un avec l’autre. J’étais détestable à ses yeux, il l’était aux miens tout autant. Mais nous avions l’obligation morale, jusqu’au dernier instant, de montrer le meilleur visage de nos cultures respectives : moi la cohérence des sciences sociales et de mon engagement, lui la cohérence de l’islam, de sa société et de sa famille - même de son cousin Ziad, dont il était si jaloux.

Au terme de l’année universitaire suivante, je soutiens mon premier travail, Le Za’îm et les frères du Quartier. Le mémoire est dédicacé à Ziad, le personnage principal, Waddah restant un personnage très secondaire. C’est un très bon mémoire, de l’avis unanime du jury, un travail prometteur. Mais ce n’est qu’un mémoire de maîtrise, et je n’ai aucune idée comment ré-itérer l’exploit.
C’est dans ces circonstances, en juin 2004, que la problématique de l’homosexualité fait son entrée dans ma vie personnelle. Je suis forcément homosexuel, puisque je me suis laissé entraîner dans cette relation, et puisque je veux à tout prix retourner là-bas… De la situation décrite ci-dessus, il ne me reste qu’une mémoire corporelle, irréductible, dont l’écriture a effacé toute cohérence. Je suis « affecté » par mon enquête, dans les deux sens du terme (Favret-Saada 1991). L’homosexualité permet de le dire, point de départ d’une nouvelle intrigue ethnographique.

Ces toutes dernières années (depuis décembre 2017), j’ai beaucoup écrit sur cette relation d’octobre 2003 : sur les circonstances de mon premier passage à l’écriture, de mon premier arrachement au terrain, et sur la logique de cette relation étrange, qui s’épuisait jour après jour dans un rapport sexuel. Je crois que la production des sciences sociales, fondamentalement, s’inscrit toujours dans cette temporalité : la description sociologique est toujours ce résidu d’un rapport insoutenable. Mais dans notre époque post-coloniale, les sciences sociales regardent ailleurs. Une fois le texte produit, elles empilent leurs descriptions comme autant de boites de conserve, pour atteindre je ne sais quel fruit défendu. Elles recherchent une cumulativité bien illusoire, qui ne fait qu’aggraver notre impuissance collective. Il y a à cela des raisons structurelles, d’ordre théologique (le christianisme comme processus). Notre époque post-coloniale souffre d’avoir refoulé cette conflictualité. Elle prétend l’avoir aboli, mais elle n’a fait que la déplacer. Or à l’ombre de la conflictualité, le respect est toujours possible. C’est le chemin que nous traçons depuis 20 ans.

fr/comprendre/processus/le_noeud_24_juillet_2022.txt · Dernière modification : 2022/08/27 23:17 de mansour

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