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Oeillères islamistes, sexualité de l'observateur : l'épuisement de la formule post-coloniale

Pour comprendre l'enjeu de notre histoire, il faut la réinscrire dans le problème général.

Écrire dans le système mondial

Considérons un système mondial perpétuant une polarisation Nord-Sud, une répartition inégalitaire des ressources matérielles et symboliques : un Nord riche et bavard, un Sud pauvre et inaudible.

Et considérons maintenant la rencontre ethnographique.
Un individu élevé au Nord décide d'aller vivre quelque part au Sud, chez des gens qui n'ont rien demandé, en tenant un carnet de terrain. Cela débouche presque toujours sur un échec (ou alors il n'y a pas d'étude) mais entre temps il y a eu rencontre. Après avoir tenu un carnet de terrain, l'ethnographe écrit un livre, qui est le compte-rendu d'une interaction.

Explicitement ou non à travers son livre, l'ethnographe réinscrit l'échec dans un ordre des choses, une interprétation générale du monde.
L'ethnographe en tire de nouveaux choix de vie : il devient universitaire, il s'engage dans l'humanitaire, il fait sa vie dans la Capitale du pays en question, il se tourne vers l'art ou la photographie, que sais-je encore…
Par ailleurs, l'ouvrage ainsi publié contribue à la connaissance, la prise en compte des “réalités du terrain”. Il rend le Nord un peu moins bavard, le Sud un peu moins inaudible.

Sur cette conception réflexive de l'ethnographie, qui fait à peu près consensus aujourd'hui, je renvoie aux ouvrages de référence publiés par Florence Weber, et à la section methodologie de ce wiki.

Un flottement

Voilà peu ou prou la fonction sociale de l'ethnographie, telle qu'elle se conçoit à l'ère post-coloniale.
L'ethnographie ne se justifie plus par la contribution à la Science, avec un grand S. L'ethnographe n'est plus l'agent-auxiliaire d'un anthropologue de cabinet, chargé par lui d'aller sur le terrain pour y récolter des “faits de culture”. Depuis 1945, la déroute du fascisme et du colonialisme, plus personne ne soutient vraiment cette science générale de l'Humanité - européenne implicitement - dont les prétentions théoriques se sont d'abord reportées sur le structuralisme et le marxisme, avant de se dissoudre dans un éloge général du particulier (ethnographie, micro-histoire). Aujourd'hui l'ethnographe est plutôt un circumstantial activist, quelqu'un qui se débat en conscience avec l'écriture et l'engagement dans le monde.

Cette conception de l'ethnographie est celle à laquelle je crois, celle qui m'a construit intellectuellement, dont je resterai à jamais tributaire. Pour autant, est-ce que ça marche? Cette ethnographie post-coloniale, rend-elle vraiment le Nord moins bavard et le Sud plus audible, ou bien aggrave-t-elle en fait le problème? La fonction sociale de l'ethnographie est-elle d'alerter, de “conscientiser” comme on dit parfois, ou au contraire de dissimuler et d'“inconscientiser”, d'inscrire la “réalité” dans l'ordre du spectacle, d'enraciner l'observateur dans son impuissance?

Bien sûr habituellement, les humanistes partent du principe inverse : les malheurs du monde viendraient, au moins en partie, de ce qu'on ne nous écoute pas assez. Faire des sciences sociales, ce n'est pas simplement parler du réel, c'est surtout justifier le discours qu'on porte sur le réel. Donc si on n'y prend pas garde, les sciences sociales par construction ont cette tendance à s'enfermer dans une “théodicée” implicite : un discours justifiant l'institution ecclésiale malgré l'existence du Mal.

Nos interlocuteurs le savent, parce qu'ils nous connaissent bien. Ils nous parlent, mais partagent-ils vraiment notre foi? Rien ne permet de le dire, tant que tout va bien.

Une infinie douceur

Le moment clé de mon enquête : le silence de mes interlocuteurs le 19 août 2007, lorsque Ziad a mis le feu. C'était le jour de mon retour après un an d'absence, et tous faisaient semblant de n'avoir pas remarqué la coïncidence. Cette situation marquait les limites de la “foi progressiste” commune, qui avait encadré nos rapports jusque là. Alors même qu'il avait été au centre de mon premier travail, et que c'était lui qui m'avait socialisé à cet endroit, il n'était pas question de prendre pour objet le malheur de Ziad. Pour une raison que je percevais à peine, les informateurs bottaient en touche.
Mais s'ils me confrontaient à cette limite, c'était avec une infinie douceur - par exemple en m'invitant à partager un repas. Douceur qui réveillait en moi le sentiment de honte, une pudeur, et finalement je renonçais moi-même à aborder la question.

Autre moment clé, survenu quatre ans plus tôt le 4 octobre 2003, vers la fin de mon premier séjour. Même infinie douceur, dans la manière dont Waddah me pose sa question, que je prendrai du coup pour une proposition sexuelle.

En fait cette douceur, l'observateur ne peut s'en échapper. Il peut bien se donner des raisons, tenter de défendre sa subjectivité, elle finira toujours par le rattraper, par le ramener à sa propre honte, et par le désarmer. Je ne dis pas que tout observateur passe par une expérience sexuelle, à un moment ou à un autre. Mais tout observateur doit composer avec cette douceur, qui entoure et désarme ses propres observations.

Au fondement de l'ordre cognitif postcolonial, il y a le déni de cette douceur - la douceur spécifique de l'Orient… L'ère postcoloniale traite avec des cultures, elle traite avec des États-Nations. Ayant démantelé la raison Orientaliste et coloniale, elle veut oublier que l'Islam est un métacontexte de l'histoire des idées européenne, pas une peuplade amérindienne. L'objet a partie liée avec les catégories de l'observateur, mais l'ère postcoloniale ne sait plus cerner comment. Dès lors, elle ne sait plus composer avec cette douceur, et avec les complications qu'elle produit. L'ère post-coloniale déstabilise l'observateur dans sa sexualité.

Un problème qu'un certain nombre d'ouvrages autour de “l'homoérotisme” arobo-musulman, ont tenté de défricher au milieu des années 2000, sur le terrain historique et littéraire plutôt qu'ethnographique. Ouvrages qui m'ont néanmoins influencé (à partir de 2005), qui m'ont amené à insister dans cette direction, jusqu'au moment où j'ai trouvé chez Bateson une approche plus satisfaisante à mes yeux (2008), avec mon petit théorème de l'enchantement ethnographique.

Oeillères islamistes

Qu'en est-il des musulmans eux-mêmes (au sens des musulmans de naissance)? En quoi l'ère post-coloniale les affecte-t-elle aussi?

Chantier 29 avril - 1er mai 2022 (à finir)

fr/comprendre/problematisation.1651481831.txt.gz · Dernière modification : 2022/05/02 10:57 de mansour

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