L'intersexuation dans le passage à l'écriture

Un geste dont je suis fier, dont j’ai toujours été fier en fait, même si j’ai commencé à en parler explicitement ces toutes dernières années. Le 4 octobre 2003 vers 6h du matin, j’ai posé ma main droite sur mon sexe, afin de rendre possible un rapport homosexuel.

C’était vers la fin de mon premier séjour, je venais de passer neuf semaines à Taez, à tenir mon carnet de terrain - de la main droite - tout en faisant face aux Yéménites. Étais-je soudain devenu fou ? Non, mais je savais que ce rapport devait avoir lieu, ou je n’aurais plus pu regarder en face mes interlocuteurs.
Après mon retour en France, la chose m’est devenue étrangère, complètement indicible. Pour retourner là-bas, j’ai fini par me convaincre que j’étais « homosexuel ». Mais en réalité, il s’agissait d’assumer quelque chose de plus profond, que j’appelle maintenant intersexuation. Une chose indissociable de certaines valeurs, que j’avais posé d’emblée sur la table : « Égalité homme-femme », « Rationalisme »*, « Laïcité ». Valeurs sur lesquels il était inutile de transiger, et mes interlocuteurs l’avaient parfaitement compris. Lors de ce premier séjour, huit ans avant 2011, j’avais perçu les prémisses du Printemps.
Le jeune homme en face de moi n’avait assisté à rien (il ne vivait plus à Taez depuis plusieurs années) mais voulait absolument faire partie de l’histoire. Il était prêt pour cela à me parler des autres - ce dont j’avais besoin, mais en même temps je le sentais patiner dans sa compréhension. Il ne voulait pas croire à ce que nous avions vécu, pas de la manière dont je le racontais. Il voulait absolument que Ziad m’ait fait des avances ; il y revenait toujours, c’était son obsession.
J’étais en fait dans une double contrainte* : si je laissais croire cela, l’histoire n’avait plus aucun sens ; mais si je refusais absolument de l’envisager… À Taez plus personne ne voulait me parler, ou de choses qui ne m’intéressaient pas. On me disait : « Ce sont des histoires du vide… »²⁾. Ainsi l’histoire allait-elle basculer dans l’oubli…
Le matin du 4 octobre, le jeune homme a eu l’idée de me prendre au réveil, pour en avoir le cœur net. Alors j’ai rassemblé mes observations, toutes les feuilles de mes carnets, je me suis entouré d’elles, et je lui ai donné ce qu’il voulait.

Les détails de la séquence ont leur importance, le lecteur pourra les découvrir plus précisément dans ce dossier. Quoi qu’il en soit, la discussion se suffira d’une qualification minimum des faits : lors du premier arrachement au terrain, et du premier passage à l’écriture, j’ai été contraint à un rapport homosexuel subi. J’ai été pris entre deux types de contraintes, qui exigeaient la reconnaissance de mon intersexuation. Sans cette reconnaissance, il n’y aurait eu ni mémoire, ni retour les années suivantes.
Du reste vingt ans plus tard, je m’obstine toujours dans ce même geste, à travers la rédaction de ce wiki ; de mes propres observations, je m’enroule jour après jour : j'assume aux yeux de tous mon propre point de vue. C'est la seule écriture qui m’intéresse, celle qui permettra nos retrouvailles.