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Que faire du modèle d’Ising ?

Gribouillage de physicien sur le modèle d’Ising (Jeffrey Chang, Stanford University).

En 1924 à Hambourg, le jeune physicien allemand Ernst Ising soutenait sa thèse de doctorat, consacrée à l’étude d’un modèle suggéré par son directeur de thèse Wilhelm Lenz, afin d’expliquer les propriétés ferromagnétiques des matériaux.

  • Chaque atome de métal est doté d’un moment magnétique élémentaire appelé spin, que l’on peut se représenter comme une petite aiguille aimantée, située sur les mailles d’un damier.
  • Comme dans une boussole, chaque spin a tendance à s’aligner sur le champ magnétique local, généré par l’orientation de ses voisins immédiats (les spins ont tendance à s’aligner), ainsi que par l’orientation générale des spins dans la région considérée (champs magnétique moyen).
  • On ajoute un facteur aléatoire dépendant de la température, pour représenter l’agitation thermique. Et on suppose pour simplifier que les spins ne peuvent prendre que deux valeurs, positive ou négative.

Le modèle est alors entièrement soluble mathématiquement. Il permet de prédire l’existence d’une température critique, au-delà de laquelle les spins cessent d’être alignés ; également de réfléchir à certains phénomènes caractéristiques des transitions de phase*, comme les variations d’échelle aux alentours de la température critique, où des agrégats de spins se forment de manière un peu anarchique.
Depuis son introduction dans les années 1920, le modèle d’Ising s’est imposé comme le modèle de référence en mécanique statistique, ce domaine de la physique qui s’intéresse aux systèmes composés d’un grand nombre de particules en mouvement.

* * *

(§ déplacé dans Le physicien et le Social) À l’automne 2001, j’étais étudiant en maîtrise de physique, en stage sur une manip d’atomes froids à l’Institut d’Optique d’Orsay, lorsque sont survenus les attentats de New York. J’avais commencé à apprendre l’arabe quelques années plus tôt avec un camarade tunisien de classe préparatoire. Je venais également de découvrir le Yémen avec mes camarades de la classe d’arabe de l’ENS, lors d’un stage linguistique au mois de juillet. Quelques semaines après les attentats, j’ai décidé de me réorienter progressivement vers l’anthropologie. L’année suivante je suis entré en licence, puis j’ai commencé à faire du terrain au Yémen, environ trois mois par an en immersion dans un quartier central de Taez, la troisième ville du pays. En 2005 j’ai débuté une thèse, à laquelle j’ai consacré huit ans. Les trois dernières années, la ville de Taez avait pris la tête d’un soulèvement général lié à la vague des Printemps Arabes, débouchant sur une transition politique incertaine qui s’est rapidement enlisée. Au cours de ces mêmes années, je m’activais sans relâche dans le milieu académique français pour défendre mon travail, que j’ai finalement dû abandonner en 2013. La guerre a fini par éclater deux ans plus tard, et Taez s’est imposée comme le point nodal du conflit, une fois encore, dans l’indifférence générale des observateurs. La ville est depuis soumise à un sévère blocus et traversée par une ligne de front, dont le point le plus fixe est précisément le quartier de mon enquête.

La ligne de front.

L’analogie avec le modèle d’Ising et les systèmes de particules, j’aimerais l’appliquer à la Grande Histoire des années 2010 (ci-dessous), et aussi la petite histoire de mon enquête dans la décennie précédente (Point_critique). Deux niveaux d’analyse très différents, et pas seulement par l’échelle : aussi d’un point de vue épistémologique*, la place occupée par l’observateur.

Transitions de phase dans la Grande Histoire

(section déplacé dans Le physicien et le Social) La Grande Histoire, telle qu’elle s’est déployée dans les années 2010, apparaît bien balayée par de grandes « transitions de phases ». Par contraste dans les décennies précédentes, les foyers de conflits restaient inscrits dans des contextes nationaux particuliers : Irak, Afghanistan, Palestine, avant cela en Algérie, Yougoslavie ou Rwanda… Mais dans les Printemps Arabes de 2011, ce qui frappe est le caractère transnational, et d’emblée s’impose la métaphore d’une vague, aussi massive qu’inattendue.
Pour reprendre l’analogie du modèle d’Ising, l’évènement signifie que les aiguilles aimantées tournent toujours parfaitement sur leur axe, qu’aucune rouille ou sclérose ne les en empêche - autrement dit l’Histoire n’est pas jouée, puisqu’aucune mémoire ou « structuration sociale » n’est définitive. Pour moi ce n’était pas si inattendu, vu que je travaillais sur cette hypothèse depuis plusieurs années (Voir mon billet Médiapart du 3 février 2011 : « Une révolution bénie? De la pensée systémique en islam ».)
L’évènement ouvre la voie à d’autres phénomènes transnationaux : * vagues migratoires d’ampleur inédite ; * émergence d’entités terroristes transnationales, souvent sous l’appellation « État Islamique », qui modifient les rapports de force sur des régions entières (au Moyen-Orient et au Sahel notamment). * On pourrait citer également les vagues populistes, qui culminent dans l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. * Notre pays n’est pas épargné, avec une succession en pointillé de passages à l’acte terroristes, intuitivement perçus comme une « vague » - les Français ont du mal à comprendre la différence de nature. * Mais je pense aussi et surtout au mouvement Gilet Jaune, l’irruption du sein-même de la société française d’un mouvement social comme nous n’en avions pas connu depuis des décennies, qui a profondément transformé les rapports de force culturels internes à notre pays. Pour éclairer ces phénomènes et mieux discerner le cap qu’ils dessinent, il est tentant de rechercher des clés d’interprétations globales et conjoncturelles : l’équivalent de variables thermodynamiques macroscopiques - température, volume, pression, magnétisme… - qu’on pourrait dégager des mouvements microscopiques élémentaires, comme le font les considérations subtiles de la physique statistique. Les tentatives ne manquent pas ; elles donnent même lieu à une sacrée cacophonie d’interprétations simultanées, tantôt convergentes et tantôt contradictoires, le tout aspiré par la technologie cybernétique des réseaux sociaux. D’où cette question de plus en plus pressante : pourquoi privilégier telle ou telle interprétation du monde ? Sur quelles bases empiriques et philosophiques, qui ne soient réductibles ni à l’adhésion littérale à une tradition religieuse, ni au nombre de clics ou de citations bibliographiques sur tel ou tel réseau social ? Pour des sciences sociales confrontées aux contraintes inédites du XXIème siècle, quels nouveaux critères de rigueur scientifique pouvons-nous faire valoir, afin de retrouver les rênes de notre destin ?

Le deuxième niveau d’analogie avec les systèmes de particules, c’est précisément ce qu’a été ma pratique des sciences sociales dans la décennie 2000. (⇒ Le point critique de ma petite histoire)

fr/modele/ising/ising.txt · Dernière modification : 2023/08/24 15:05 de mansour

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