Objectivations : Ziad objet des sciences humaines
Sur le terrain, tout chercheur en sciences humaines noue des alliances d'enquêtes. C'est indispensable. Dans les sciences sociales, la discipline nous apprend à affronter ce qui se passe dans ces alliances, pour faire preuve de reflexivite. Car derrière tout investissement affectif - le notre comme celui de nos interlocuteurs - se cachent des déterminations sociales qu'il faut analyser lucidement. Telle est la base méthodologique de toutes les bonnes enquêtes en sociologie qualitative et en anthropologie, ce que l'on nomme l'ethnographie réflexive.
Mais quand j'ai voulu exporter cette méthodologie dans le Yémen des années 2000, j'ai constaté dès la première année que la méthode devenait folle - comme un algorithme qui s'emballe, provoque une surchauffe dans la machine informatique, et finit par produire des artéfacts incompréhensibles.
Au fil de mes efforts pour rendre compte de cette alliance d'enquête, nouée au coeur de la société yéménite, Ziad s'est trouvé successivement l'objet de plusieurs disciplines des sciences humaines :
- objet de sociologie (Ziad comme “transfuge de classe”…) ;
- objet des études de genre (Ziad comme porteur d'une certaine “masculinité”…) ;
- objet d'(anti-)psychiatrie (Ziad comme “schizophrène”) ;
- objet de théologie (Ziad comme converti et comme “martyr”) ;
Chacun de ces paradigmes successifs a été indissociable d'un point de vue général sur la société yéménite, approfondissement dans ma compréhension d'ensemble, qui permettait en retour de nouvelles observations. Et c'est ce processus qui maintenait Ziad captivé : suivant les pérégrinations d'un chercheur occidental dans son propre environnement social, il percevait parfaitement sa place dans ce dispositif, et sa responsabilité. Car indéniablement, c'est la relation avec Ziad qui m'a sorti la tête du guidon - qui m'a dégagé des “causes accidentelles” vers les “causes essentielles” (pour reprendre le vocabulaire de la philosophie). Mais cette relation en elle-même, quelle en était la cause?
“ziad_et_moi” : un texte daté du 1er septembre 2004, vers la moitié de mon second séjour, juste après la rédaction de mon premier travail universitaire. C'est le meilleur témoignage sur la vraie nature de cette relation, avant que ma conscience ne soit brouillée justement par tous ces paradigmes. On y lira une relation très ordinaire, configuration classique des rapports Nord-Sud, omniprésente à notre époque. En fait la cause de toute cette histoire - s'il doit y en avoir une - réside dans l'épistémologie du moment (historique) postcolonial.
Voilà posées les six approches permettant de comprendre notre histoire, de montrer sa pertinence, et de lui donner un avenir dans un monde commun.
Structure
« Si l’on brise la structure qui relie entre eux les éléments de l’apprentissage, on en détruit nécessairement toute la qualité. » (Gregory Bateson)
L'objectif général de ce wiki est de faire émerger la “structure qui relie” les différents points de vue portés sur la société yéménite :
- d'abord au sein de ma recherche,
- ensuite dans la communauté des spécialistes de ce pays
Contrairement à la plupart de mes anciens collègues, je n'ai jamais cru en la possibilité d'une médiation par le “juste milieu”. Pour intégrer cette divergence des points de vue, j'en appelle plutôt à l'épistémologie, à une structure plus large, dont les implications vont bien au-delà de ce conflit régional. Et notre petite histoire doit servir de levier à ce changement de paradigme. Donc pour chacune de ces six approches, j'expliquerai précisément les circonstances dans lesquelles elle s'est imposée :
sociologie - gender - psychiatrie - théologie - épistémologie - histoire
Nous pourrons alors revisiter un certain nombre de scènes, qui dorment encore dans mes carnets de terrain.
Remarques :
- Il faut avoir lu la notice_sur_le_marivaudage_de_mon_premier_sejour à l'entrée du site, où il est question de ma première enquête et de mon engagement “non-binaire”.