Table des matières
La structure qui relie
L'une de mes citations fétiches de Gregory Bateson, dans l'introduction de La Nature et la Pensée (p. 16).
(= la n°5 de mes Onze citations).
« Je m’en prenais récemment aux insuffisances de l’éducation occidentale : dans une lettre à mes confrères du Conseil d’administration de l’Université de Californie, j’avais glissé la phrase suivante : « Si l’on brise la structure qui relie entre eux les éléments de l’apprentissage, on en détruit nécessairement toute la qualité. »
Je vous propose cette expression, la structure qui relie [the pattern which connects], comme un autre titre possible pour ce livre.
La structure qui relie. Pourquoi les écoles n’enseignent-elles presque rien de la structure qui relie ? Est-ce parce que les professeurs se savent porteurs du baiser de la mort, qui ôte la saveur à tout ce qu’ils touchent, qu’ils refusent ainsi d’aborder ou d’enseigner les choses réellement importantes de la vie ? Ou bien sont-ils porteurs du baiser de la mort justement parce qu’ils n’osent rien enseigner de ces choses-là ? Quel est donc leur problème ?
Quelle est la structure qui relie le crabe au homard et l’orchidée à la primevère ? Et qu’est-ce qui les relie, eux quatre, à moi ? Et moi à vous ? Et nous six à l’amibe, d’un côté, et au schizophrène qu’on interne, de l’autre ?
Je voudrais vous expliquer pourquoi j’ai été biologiste toute ma vie, et ce que j’ai essayé d’étudier. »
Pistes pour l'éclairer…
(échange avec Michel)
— Vincent Planel 2022/03/24 17:17
J'ai cherché à approfondir un peu le concept de “Double Contrainte” d'autant plus que tu y fais référence avec Putin. D'un point de vue informatique, cela rappelle un DeadLock, quand 2 processus entrent en boucle en s'échangeant une série de messages qui se répète à l'infini.
Quant à l'autre concept cher à Bateson la “structure qui relie”, il me semble encore peu compréhensible, même si j'ai trouvé son introduction assez plaisante dans “La Nature et la pensée”; je ne vois pas d'équivalent dans la conception des systèmes, tout me porte au contraire à penser qu'en dehors du concept d'énergie (et ses déguisements sous forme de matière ou d'information), et de sa loi de conservaton/dégradation, il n'y a rien qui relie au sein de la profusion de variété et de changement que nous observons.
Effectivement, la “structure qui relie” est difficile à percevoir depuis l'épistémologie classique occidentale, précisément parce que cette épistémologie s'est construite contre cette unité fondamentale, qui était au contraire postulée par les épistémologies antérieures.
On ne commence à voir la “structure qui relie” qu'en “faisant du Bateson”, c'est-à-dire en abordant les phénomènes sous l'angle des relations et des processus, plutôt que sous l'angle des choses et de la causalité “physique”. En fait plus on met les mains dans le cambouis, plus on la voit. Tandis que le concept d'énergie, que tu évoques, a été inventé précisément pour les en sortir (les mains du cambouis). La découverte de l'énergie fossile découle d'une mutation anthropologique.
Pour autant, il y a un rapport profond entre la SQR et la notion de double-contrainte (ou de “deadlock”). Sans la structure qui relie, la situation de “deadlock” serait accidentelle. Car qui peut vouloir reboucler la causalité classique sur elle-même, dans un monde où la vertu se définit justement par sa mise à plat? Seulement un esprit pervers!… - Or en réalité, les doubles contraintes sont omniprésentes, c'est ce type de contraintes qui fait tenir le monde (biologique en tous cas), qui maintient les choses du monde séparées.
Mais sans la “structure qui relie”, on a beaucoup de mal à la voir. Par exemple, si tu lis cet extrait de Molière cité par Bateson, tu peux essayer de concevoir une alternative à la “vertu dormitive”, et on pourra en discuter : à quoi Bateson pense-t-il exactement? Pour lui c'est très clair parce qu'il a toujours baigné dans la biologie…
D'où aussi l'intérêt de réinvestir les théologies monothéistes via les idées systémiques de Bateson, et réciproquement, comme j'essaie de le faire. Et d'investir la laïcité comme un défi intellectuel, une de nos dernières chances de mourir moins bêtes…
…Parce que là avec l'Ukraine, on atteint un degré de sénilité assez impressionnant ("Des espions assurent que Vladimir Poutine souffre de trouble cérébral lié à un traitement contre le cancer").