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Le « Principe Dormitif » (erreur du concret mal placé)

Le Principe Dormitif est une illustration de l'erreur de réification* (voir glossaire), présentée par Bateson dans l'introduction de Vers une écologie de l'esprit (p.19) :

« Il est aujourd'hui tout à fait évident que la grande majorité des concepts de la psychologie, de la psychiatrie, de l'anthropologie, de la sociologie et de l'économie sont complètement détachés du réseau des “fondamentaux” scientifiques.
On retrouve ici la réponse du docteur de Molière aux savants qui lui demandaient d'expliquer les “causes et raisons” pour lesquelles l'opium provoque le sommeil: “Parce qu'il contient un principe dormitif (
virtus dormitiva)”. Triomphalement et en latin de cuisine.

L'homme de science est généralement confronté à un système complexe d'interactions, en l'occurrence, l'interaction entre homme et opium. Observant un changement dans le système —l'homme tombe endormi —, le savant l'explique en donnant un nom à une “cause” imaginaire, située à l'endroit d'un ou de l'autre des constituants du système d'interactions: c'est soit l'opium qui contient un principe dormitif réifié, soit l'homme qui contient un besoin de dormir, une “adormitosis” qui “s'exprime” dans sa réponse à l'opium.
De façon caractéristique, toutes ces hypothèses sont en fait “dormitives”, en ce sens qu'elles endorment en tout cas la “faculté critique” (une autre cause imaginaire réifiée) de l'homme de science.
L'état d'esprit, ou l'habitude de pensée, qui se caractérise par ce va-et-vient, des données aux hypothèses dormitives et de celles-ci aux données, est lui-même un système autorenforçant. Parmi les hommes de science, la prédiction passe pour avoir une grande valeur et, par conséquent, prévoir des choses passe pour une bonne performance. Mais, à y regarder de près, on se rend compte que la prédiction est un test très faible pour une hypothèse, et qu'elle “marche” surtout dans le cas des “hypothèses dormitives”.
Quand on affirme que l'opium contient un principe dormitif, on peut ensuite consacrer toute une vie à étudier les caractéristiques de ce principe: varie-t-il en fonction de la température? dans quelle fraction d'une distillation peut-on le situer? quelle est sa formule moléculaire? et ainsi de suite. Nombre de questions de ce type trouveront leurs réponses dans les laboratoires et conduiront à des hypothèses dérivées, non moins dormitives que celles de départ.
En fait, une multiplication des hypothèses dormitives est un symptôme de la préférence excessive pour l'induction*; c'est une telle préférence qui a engendré l'état de choses présent, dans les sciences du comportement: une masse de spéculations quasi théoriques, sans aucun rapport avec le noyau central d'un savoir fondamental. »
  • L'erreur de type logique* (voir glossaire) est une autre manière plus formelle de qualifier l'erreur du concret mal placé.
  • Lien avec le shirk*, l'idolâtrie par les sciences sociales de leurs propres concepts, de leur propre réalité.
  • Voir aussi l'article d'Anne W. Rawls, « La fallace de l'abstraction mal placée » in Revue du MAUSS n°24, 2004/2, pp.70-84.
    (Article d'une sociologue américaine que je ne connais pas, mais très proche de ce qu'a été ma formation au Département de Sciences Sociales de l'ENS).

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fr/explorer/auteurs/gregory_bateson/erreur_du_concret_mal_place.txt · Dernière modification : 2024/10/08 10:34 de mansour

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