Porter son regard

Pour illustrer ce que veut dire porter son regard chez Johan Van der Keuken, analyse d’une courte séquence (47s.) visionnée hier à la rétrospective du Jeu de Paume, dans le film On Animal Locomotion de 1994 (patchwork de séquences tirées de films antérieurs, montées sur un morceau de jazz de Willem Breuker).

Travaux publics

La scène se déroule à Paris, probablement dans les années 1980. Caméra à l’épaule, Van der Keuken filme l’activité frénétique des Grands Boulevards : le flux des automobiles et des passants, la signalétique publicitaire, les parcours consommateurs, et les ouvriers au beau milieu de tout ça. La caméra endosse le regard de Van der Keuken, dans ses attitudes guignolesques (prendre en filature un consommateur…) et jusque dans ses hésitations. Voilà le regard qui oscille, perplexe, entre une grande façade publicitaire et la réfection en cours de la chaussée - quand soudain…

Un ouvrier s’arrête de travailler, « Eh toi, qu’est-ce que tu me veux ? » Il me cherche ? Regarde intimidant, puis attendri - on devine que Van der Keuken a fait quelques guignolades.

Et le cinéaste au montage, de décomposer ce regard presque amoureux, comme une pâtisserie délicieuse qu’on découpe en petits morceaux, et qu’on entoure d’une salade de fruits, afin de mieux la savourer…

Ce qui se passe dans ces quelques secondes, c’est précisément ce qui ne se passe quasiment jamais dans la littérature sur l’islam et les musulmans. Mais c'est un effet presque mécanique : dès lors que l'observateur porte son regard, le musulman s'arrête pour le saluer. Sinon il fait avec, en feignant de l'ignorer.
…jusqu'au jour où le contexte change, où il faut parler sérieusement, et là on a un sérieux problème!