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Aventures d'un regard

(Je place ici tous les extraits numérisés par OCR, placés ou non parmi mes citations choisies. Les titres au dessus des citations sont ceux du livre. Pour voir mes commentaires, il faut cliquer sur le petit lien.).

(Cahiers du cinéma, 1998)

Résumé du livre :
Pendant plus de 40 ans, Johan Van Der Keuken a pratiqué la photographie, le cinéma et l'écriture. Son oeuvre est caractérisée par des allers et retours d'une époque à l'autre, d'un versant à l'autre, d'un lieu à l'autre, parfois simultanément, parfois contradictoirement. La première partie présente une réflexion du cinéaste et une deuxième partie suit chronologiquement sa filmographie. La gageure de cet ouvrage est d'être à l'image des “films-mondes” que réalisait cette figure du cinéma en général et du documentaire en particulier..

Photographe et cinéaste (extrait)

Je me suis aperçu que ma manière de penser est très binaire : « et/et » plutôt que « ou/ou » : l'intérieur et l'extérieur, les êtres et les choses, le nord et le sud… Binarisme qui incite au montage.
Deux éléments se confrontent et fusionnent en un seul concept, alors que leur lutte ne finit jamais l'homme projeté sur la surface plane. Résoudre ce conflit en une unité de vision tout en le gardant vivant est une contradiction avec laquelle le cinéma parvient manifestement à vivre. Il est plus difficile pour le photographe de montrer le montage dans sa phase active en une seule image. Si tel est le but recherché, photographier est plus difficile que filmer, car on doit le faire avec peu de moyens.

JVDK : « Le binarisme incite au montage »

Après des années de cinéma, l'idée de l'image unique s'est peu à peu estompée dans mon esprit. En fait, la réalité semble autant être masquée que dévoilée par elle. Une seconde de film contient souvent plusieurs photogrammes chargés de sens. Ainsi, le choix de la seule vraie photo, voulue par moi, devient problématique. La mise en train du photographe, la volonté d'agir au moment juste et unique, donnent à la photo une force que ne possède pas le photogramme cinématographique, lequel est déterminé par davantage de circonstances arbitraires. Mais une fois admis l'arbitraire, celui-ci menace l'image unique qui n'est peut-être qu'une image idéaliste, une image née de la peur de la chute libre dans le réel : une image absolue qui rappelle tous les mouvements chaotiques à l'ordre.
Ainsi, la domination de l'unique est brisée. Deux ou plusieurs images sont possibles. Le moment qu'on cherche est invisible, il se cache entre deux moments invisibles. Le temps ne s'arrête que devant l’œil spirituel.

image unique

Peut-être que je photographie parce que le temps passe trop vite et peut-être que je filme parce que le temps manque. Cette année, je fais un film qui s'appelle le Temps. Il n'y a pas seulement le temps, il y a des strates de temps. Nous en parlons comme si c'était quelque chose, mais en fait ce n'est rien. Pourtant, nous avons à l'intérieur de ce rien un corps. Comment le nommer?

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.58.

Appareils-photo

Étant enfant, j'aimais dessiner, et puis mon grand-père qui était un photographe amateur trés doué m'a appris la photographie dès l'âge de 12 ans. J'ai trouvé ça fascinant. Il avait une collection de magazines de photographies Focus, et, pendant les vacances, je regardais ces magazines; il avait des cahiers de recettes chimiques qu'il avait découpées dans le journal. J'ai étudié ça entre 12 et 15 ans. J'ai acheté un appareil à plaques avec lequel j'ai commencé à faire des expériences. Ça me plaisait cette magie, voir surgir ces images, accompagnée du désir de dominer ce processus. Le fait de reproduire quelque chose de vrai.
Je me rappelle, avec cet appareil à plaques, avoir photographié un vieux cloître avec des briques. Sur la photo, comme la plaque avait un grand format, on pouvait voir chaque brique. Je ne pouvais pas le faire avec l'appareil que j'avais avant, alors que là, je pouvais compter les briques. J'ai photographié des oranges. On voit la peau très nette et l'autre versant de l'orange est déjà flou. La profondeur de champ très limitée, due encore au grand format de l'appareil et à la grande longueur focale de l'objectif qui y correspond, où le flou va jouer et se mettre en contraste avec la netteté de la qualité de la peau. On peut créer du réel, par la peau des choses. C'était pour moi une découverte sensationnelle.

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.58.

Le modèle se brise

Je dis souvent que je travaille contre l'ethnographie. C'est toujours au moment où le modèle se brise, où la représentativité ne fonctionne plus, que cela devient intéressant. On est à mi-chemin entre quelque chose de représentatif et quelque chose qui ne l'est pas du tout …qui est l'irruption des personnes en tant que telles. Oui, l'absurdité de la vie, l'expérience unique. Serge Daney avait écrit un texte dans les Cahiers/, « La radiation cruelle de ce qui est », où il notait qu'il y a souvent des personnages handicapés dans mes films parce qu'ils cassent la représentativité.
Cette position un peu marginale par rapport à la normalité leur permet d'avoir une vue plus perçante sur ce que serait le normal, le réel. D'où aussi la thématique de la cécité, de la surdité, des sens bloqués, qui me semble être celle d'une lucidité par rapport à une perception brisée, fragmentée et qui est à recomposer. On ne peut pas voir ni entendre, mais on doit faire avec.

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.61 (…)

· 2023/08/03 14:57

Tout est forme

Il est difficile de comprendre que dans un film, quelqu'un n'est que forme. Qu'il ne peut vivre qu'en relation avec d'autres éléments du film. Nous avons uniquement ce qui se trouve sur l'écran. Mais en dehors du film, cette forme vit comme un être humain, une personne qui cherche peut-être une forme. C'est bien cette ambiguïté-là. C'est pour cette raison que j'ai dit dans Herman Slobbe, L'Enfant aveugle 2 : « Tout dans un film est une forme. Herman est une forme ». Et je dis aussi : « A présent nous allons tourner un autre film en Espagne. Nous laissons tomber Herman ». C'est un problème lié à un type de travail cinématographique : le fait de laisser constamment tomber les gens. C'est la grande différence avec le cinéma de fiction, peut-être la seule différence de principe : il n'y a pas l'acteur qui dépose son masque quand il rentre chez lui.

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.116 (…)

· 2023/08/03 10:33

Morale

Dans certains débats sur le cinéma documentaire, on entend aussi s'exprimer une morale rigoureuse que je ne trouve pas intéressante : « Est-on intervenu sur la réalité, ou non ? » Les questions morales sont beaucoup plus larges. Elles ont une relation avec la totalité de la composition.
J'ai été à l'école du cinéma en Angleterre. On y était totalement imprégné par cette attitude morale qui veut que l'on ne puisse tourner que le réel. Cela relève du cinéma-vérité. On dirait qu'il n'y a pas de montage, que l'on tourne sans arrêt, que l'on ne prend pas position, que l'on n'intervient pas sur le temps. Lorsqu'on n'intervient pas, on est moralement correct. Dans ce cas, je ne veux pas être moral.
Je préfère intervenir, je trouve cela plus moral. Avec les erreurs que l'on fait, et les petites saloperies. Mais elles doivent être visibles. Ce qui est immoral, c'est de faire toutes ces cochonneries et un cinéma qui n'en montre rien. Et pourquoi le documentariste devrait-il être aussi moral alors que le réalisateur de fictions peut assassiner, tuer et violer dans ses films? Nous, nous devons toujours être moraux. Je trouve cela terrible.

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.116-117 (…)

· 2023/08/03 13:32
fr/valoriser/scenographie/johan_van_der_keuken/citations/aventures_d_un_regard.txt · Dernière modification : 2023/08/03 16:02 de mansour

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