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Notice

Le non-dit sexuel de toute mon enquête :

  1. Octobre 2003 : un incompréhensible passage à l’acte, survenu dans la Capitale tout à la fin de mon premier séjour.
  2. Juin 2004 : déstabilisé dans ma vie personnelle, conversion subjective à l’homosexualité avant retour sur le terrain - mais rien n’est évoqué dans mes études de cette époque.
  3. Printemps 2006 : au cours de mon troisième séjour, en lien avec les rumeurs infamantes diffusées sur mon compte par le petit milieu des Yéménites francophones, et l'état psychique de mon premier interlocuteur, j’ouvre les questions de genre, le rôle de la vulgarité dans la sociabilité masculine.
  4. Été 2007 : revenu à Taez pour rédiger, je constate l’effet de mon insistance sur mes principaux alliés. Converti à l’islam, j’abandonne la vulgarité et me retire progressivement du terrain. J’espère retourner au Yémen après avoir soutenu ma thèse, pour faire tout autre chose (anthropologie/théologie).
  5. 2011 : une métaphore devient concevable pour éclairer « l’affaire du Za’îm » de septembre 2003 : un printemps arabe dans un verre d’eau. Toute mon enquête prend sens rétrospectivement. Mais aucun interlocuteur académique n’accepte de me suivre dans cette direction, et je finis par abandonner ma thèse en 2013.
  6. Décembre 2017 : effondrement définitif du pays et de l’ancien régime. Pour la première fois, j’évoque ouvertement l’incident d’octobre 2003, survenu quinze ans plus tôt.

Bilan : vingt ans d’engagement, de pudeur et de respect, dans un usage raisonné de la méthodologie féministe, contre la lâcheté structurelle de la médiation culturaliste.

Abu Ghraïb et l'ethnographie réflexive

La soldate Lynndie England tenant en laisse un Irakien dans la prison d’Abu Ghraïb1), au mois d’octobre 2003. Une photo qui a fait le tour du monde vers la fin de l’hiver 2004 : je rédigeais alors ma maîtrise, et la photo faisait clairement métaphore. Sans qu’à l’époque j’aie posé aucun mot dessus, le « terrain » m’avait rendu différent.

Pour les sciences sociales françaises des années 2000, l’ethnographie réflexive représentait la pointe de l’avant-garde, le « nec-plus-ultra technologique » (c’est peu ou prou encore le cas aujourd’hui). Dans mon projet d’exporter cette méthode d’enquête sur le terrain yéménite, j’étais dans la posture de tel médecin cancérologue nommé sur l’Île de la Réunion dans les années 1990, qui se battit pour que l’île dispose comme tout département français d’un IRM, qui profiterait à tout l’Océan Indien. Ou encore tel chercheur en physique des semi-conducteurs, que dans mon enfance je voyais poster des échantillons de couches atomiques dans de petites boites transparentes, vers des pays lointain qu’on nommait alors le Tiers-Monde, pour que des étudiants là-bas puissent en étudier les propriétés dans le cadre de leur thèse. Dans le monde post-11 septembre 2001, la France de Dominique de Villepin apportait à l’Humanité reconnaissante les bienfaits de la Science et de la Raison… Pourtant moi, dès la fin de mon premier séjour, je me trouvais ramené à la case « Abu Ghraïb », comme un vulgaire GI. La réflexivité d’enquête, les Yéménites n’en voulaient pas - pas plus que les Irakiens ne voulaient de la « démocratie » à l’américaine…

Pourquoi les Yéménites ne veulent-ils pas de la réflexivité d’enquête ? Pourquoi préfèrent-ils les « vieux modèles » des premières décennies d’après-guerre (marxisme, structuralisme), les sciences sociales positivistes, prévisibles (usage des statistiques, culturalisme). J’allais découvrir que les sciences sociales, au Moyen-Orient, sont indissociables d’un contrat politique tacite, inhérent à l’ère post-coloniale. C’était le début d’une longue réflexion plus fondamentale sur le progrès scientifique, les rôles respectifs de la raison et de l’intuition dans l’histoire des idées, le rapport aux savoirs de l’islam et des monothéismes plus généralement. Une réflexion que j’ai finalement dû mener à distance des institutions académiques, les « Humanités » s’étant regroupées en masse dans le camps du Bien, et ainsi marginalisées elles-mêmes.

1)
Les dates du scandale d’Abu Ghraïb (wikipedia) coïncident à peu près avec la chronologie de mon premier séjour : Printemps 2003, victoire militaire-éclair remportée par l’armée américaine sur le régime de Saddam Hussein ; les premiers signes d’enlisement apparaissent pendant l’été (alors que je m’envole pour Taez) - d’où les incarcérations de masse dans cette fameuse Prison d’Abu Ghraïb. Durant ce même mois d’octobre ont lieu les premiers sévices sexuels perpétrés par l’armée américaine, dont le scandale éclatera quelques mois plus tard. Des sévices symptomatiques du profond désarroi de l’envahisseur, face à un pays qui se dérobe à sa puissance. Or en fait, la même chose se jouait sur le terrain des sciences sociales…
Sur ce scandale d’Abu Ghraïb, je recommande le documentaire Standard Operating Procedure (2008) d'Errol Morris, qui a eu la démarche salutaire de donner la parole aux auteurs des sévices - plutôt que de prétendre communier avec les victimes sans toujours en avoir les moyens.
fr/comprendre/notice.1649847127.txt.gz · Dernière modification : 2022/04/13 12:52 de mansour

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