📖 2024:04:22 le Coran, le wiki, les berbùres de Tinmel

J’écris le matin, pour m’aider dans mes rĂ©visions : Chaque aya est un fait social*. Au sens de Durkheim : chaque verset est « susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extĂ©rieure ».

Tamar lĂšve les yeux au Ciel Lundi 22 avril, 13:58
Mon tĂ©lĂ©phone insiste pour me faire lire un post de Ziad, sans commentaire. Ziad a juste partagĂ© une vidĂ©o de ‣Tamar, qui danse en regardant la camĂ©ra, sur quelques secondes d’un tube familier. Musique commerciale un peu techno, paroles rĂ©duites Ă  l’évocation des points cardinaux : regarder Ă  droite, Ă  gauche, regarder en l’air, vers le PĂšre. Tamar exĂ©cute en souriant, elle nous captive

Force de la thĂšse de Ziad sur la ‣Sensation, imparable. Et mon hypothĂšse sur « l’homoĂ©rotisme »* de la sociĂ©tĂ© yĂ©mĂ©nite ? La thĂšse de Ziad en est le prolongement, ni plus ni moins : Ă  partir de la sensation de l’observateur, reconstruire la cohĂ©rence du monde. Dans la civilisation cybernĂ©tique, qui vend du temps de cerveau humain, l’observateur se laisse facilement captiver
 (22 Quand Tamar prie)

* * *

Entre maghrib et ‘isha, je me concentre sur sourate al-Naba (n°78). C’est la premiĂšre du programme du second semestre, et je l’ai dĂ©jĂ  apprise. Mais cette fois je veux l’apprendre d’une maniĂšre qu’elle ne s’en aille plus, et c’est un autre travail.
Je commence Ă  lire la sourate : je teste ma capacitĂ© Ă  enfiler un verset sur le prĂ©cĂ©dent, comme s’il s’agissait d’une sorte de chaĂźne et comme si j’étais une fourmi, totalement incapable de dominer l’objet. Car c’est bien le problĂšme : le Coran ne se laisse pas facilement dominer, contrairement Ă  une Ă©quation.

En effet, l’équation est toujours conçue pour modĂ©liser une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure, que l’on parle d’un phĂ©nomĂšne physique, ou de la topologie d’un objet mathĂ©matique quel qu’il soit. L’équation prend sens au regard d’une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure que la subjectivitĂ© apprenante a tout le loisir d’apprĂ©hender, ou du moins dont le chemin est balisĂ©, dont elle connaĂźt les coordonnĂ©es. MĂȘme si la rĂ©alitĂ© conserve une dimension mystĂ©rieuse, elle l’aborde toujours par le mĂȘme chemin, dans les mĂȘmes circonstances (le mardi de 10h Ă  11h, en salle B326, en vue d’une apprĂ©ciation sur la quatriĂšme ligne du bulletin trimestriel
). La stabilitĂ© de l’équation ne rĂ©side pas d’ailleurs dans l’objet lui-mĂȘme, comme le prĂ©suppose l’esprit cartĂ©sien avec son dualisme* ordinaire ; elle rĂ©side dans la relation entre l’objet et son apprĂ©hension mentale. Le scientifique mesure la rĂ©gularitĂ© d’un phĂ©nomĂšne perceptif, qui rĂ©side en grande partie dans l’environnement lui-mĂȘme. Un environnement institutionnel et humain, garant d’une rĂ©gularitĂ© dans l’environnement physique : « Et le scientifique vit que cela Ă©tait bon  ».

Extrait du film d’Alain Resnais : Toute la memoire du monde (1956), à 10:34.

Rien de tel avec le Coran bien entendu. L’anthropologue a mis le monde en fiches, il arrive avec ses dossiers et sous-dossiers - son « wiki » - qu’il trimballe comme un gigantesque meuble Ă  tiroirs. Chaque fois qu’il aborde le texte, il a le nez dans d’autres fiches, il a ouvert des tiroirs diffĂ©rents : le meuble n’offre pas le mĂȘme visage, et le texte lui Ă©chappe Ă  nouveau. Il n’est Ă©videmment pas si simple de se placer « sous le regard de Dieu » 
S’offrent alors deux visages : celui de Tamar, et la double page du Coran, qu’on nomme aussi « visage » (wahj en arabe). Et oĂč je recherche le visage du Fils, pour ma part, depuis le 10 avril dernier (1 shawwal 1445). Le visage du Fils, ou ce qu’il en reste.

VoilĂ  la question historique fondamentale : dans l’évolution du monde de 1956 (vidĂ©o d’Alain Resnais) Ă  2024 (vidĂ©o de Tamar), quel a Ă©tĂ© le rĂŽle des musulmans ? Je ne parle pas du nombre de Prix Nobels, non, je parle d’un Ă©quilibre gĂ©nĂ©ral de l’intelligence : la capacitĂ© des humains Ă  intĂ©grer des Ă©quations, et aussi Ă  les remettre en cause. Les musulmans arrivent encore Ă  mĂ©moriser le Coran, bien sĂ»r, mais ils y arrivent en cloisonnant. Avec les gĂ©nĂ©rations qui se succĂšdent, ils y arrivent de moins en moins. Pourquoi ?

Il s’est passĂ© cette chose Ă©trange, hier Ă  la mosquĂ©e entre maghreb et ‘isha. Je lisais sourate al-Naba, devant cette double page que je « dĂ©visageais ». Concernant le sens explicite, j’ai dĂ©jĂ  associĂ© tout ce que je peux (notamment sur la fin, versets 35-38, cette vision du paradis comme absence de vulgaritĂ© intellectuelle), mais ce n’est toujours pas suffisant. J’essayais de dĂ©couvrir une qualitĂ© mystĂ©rieuse, qui ferait tenir ce texte ; j'essayais d'en dĂ©couvrir le contexte sous-jacent.
Il s’est passĂ© cette chose mystĂ©rieuse qu’à un certain stade, j’ai pensĂ© que nous Ă©tions tous en train de lire le mĂȘme texte. Étrangement, je n’y avais jamais pensĂ©. Peut-ĂȘtre le fait de discuter surtout avec des diplĂŽmĂ©s*, peut-ĂȘtre le fait de me trimballer avec mes tiroirs, je n’avais jamais touchĂ© cette Ă©vidence.

La dimension « sociale » du Coran, ça ne veut un peu rien dire ; la compĂ©tence sociologique de la sociĂ©tĂ© musulmane, lĂ  est le vrai tabou. Sa capacitĂ© Ă  « performer » une rĂ©alitĂ© sociale, sans y ĂȘtre prise, Ă©galement Ă  tirer le rideau passĂ© un certain stade. C’est ce qui s’est passĂ© lors de mon premier sĂ©jour (septembre 2003), ce qui s’est passĂ© en 2011. Mais ici, c’est encore tabou, par empilage de vulgaritĂ©s intellectuelles, et des culpabilitĂ©s associĂ©es. Le Coran sommeille dans le repli de ces contradictions.

Je pense à Ibn Tumart, aux berbÚres de Tinmel : il leur a appris simplement à lire.