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Mélopées et mémorisation
13 octobre 2024
Al-Hussary mu’allim
Pour la mémorisation, on recommande souvent l’écoute du célèbre qâri’ égyptien Mahmoud Khalil Al-Hussary (1917-1980) - surtout dans sa version « enseignant » (mu’allim), absolument neutre sur le plan mélodique.
« Au Jour de la Résurrection, Nous les rassemblerons tous, face contre terre, aveugles, sourds et muets. »
Fragment du verset 17:97 (repris dans les vidéos ci-dessous).
Al-Hussary lui-même était farouchement opposé aux innovations dans la recherche de musicalité, qui commençaient à se généraliser à son époque, à cause du transistor et de la musique enregistrée. Il fut au contraire un grand défenseur du tartîl, sorte d’achèvement de l’articulation dans la récitation :
« Le tartîl sculpte chaque mot de manière évocatrice, ce que ne peut produire une interprétation “chantée”, où les mots sont soumis à une certaine musicalité. Celle-ci peut entraver l’empreinte sonore nécessaire pour atteindre le sens réel. Et si on sent la saturation mélodique dans l’interprétation “chantée”, dans le tartîl on ressent au contraire le calme et l’introversion, dérivée du message du Saint Coran. » (traduit de l’anglais à partir de wikipedia)
Ci-dessous la version al-Hussary murattal, qui ajoute une dimension mélodique maîtrisée, sans rien enlever à l’articulation.
Sur l’importance de fixer la prononciation, comme appui fondamental à la mémorisation, voir ce que dit Ibrahim Khan (en anglais) - mais j’y reviendrai sans doute inchallah.
Un ancrage mélodique
À l’opposé, on peut citer le qâri’ koweitien Mishary Al-Afasy (né en 1976), qui pratique au contraire un tajweed très mélodieux. Au mois d’août 2024, j’ai beaucoup écouté sa version de sourate al-Isra’ sur l’application tarteel.
Deux mois plus tard, ayant mémorisé cette sourate par d’autres moyens, je ne suis pas sûr que ces écoutes aient vraiment fixé quoi que ce soit. Par contre un souvenir musical me revient systématique en tête, au verset 97, et je considère ça plutôt comme une nuisance.
Le passage en question - « aveugles, muets et sourds… » - fait référence à la damnation cognitive des incroyants au Jour du Jugement. Mais l’irruption automatique d’une mélodie particulière à cet endroit, conditionnée par un réflexe pavlovien, encombre le texte et fait plutôt écran : c’est là une damnation en soi.
J’ai voulu savoir, juste par curiosité, si Mishary Al-Afasy faisait toujours la même chose sur le même passage. Je constate que non, pas du tout :
Donc finalement, je ne vois pas pourquoi l’audition répétée de récitations particulières serait bénéfique pour la mémorisation, indépendamment du plaisir qu’elle peut procurer dans l’instant. Peut-être l’audition aléatoire de versions différentes, et très certainement l’exposition régulière à la parole coranique - mais il suffit pour cela de fréquenter les mosquées lors des prières nocturnes (trois sur cinq), et surtout pendant ramadan les prières de tarâwîh, pour acquérir une certaine familiarité auditive.
Prolongements
Globalement, je préfère préserver mes oreilles de toute musique enregistrée, quitte à me rendre de temps en temps dans un concert de musique classique, découvrir avec plaisir une œuvre du répertoire chrétien : une Passion de Bach, ou encore la Petite messe solennelle de Rossini, avec le privilège de savoir encore de quoi il est question…
Gioachino Rossini (1792-1868), Petite messe solennelle pour chœur, piano et accordéon.
Œuvre découverte à Sète en 2020, dans cette mise en scène du chœur Mélisme(s), avec l'excellent ténor franco-malgache Sahy Ratia.
Domine Deus (extrait 2').
Agnus Dei, Filius Patris
(Agneau de Dieu, Fils du Père)
Domine Deus, Rex cœlestis, Deus Pater Omnipotens
(Seigneur Dieu, Roi des cieux, Dieu Père tout-puissant)
Domine Fili unigenite Jesu Christe.
(Seigneur, Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, Très-Haut).
Entre ce qui se passe dans l'islam et ce qui se passe dans le christianisme, j'ai tendance à penser en tant qu'anthropologue qu'il ne saurait y avoir d'indépendance totale au sein de la matrice monothéiste*, chaque époque se caractérisant par une certaine configuration* épistémique…
Voir aussi : Réflexions sur la musique (et antécédents familiaux)