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fr:explorer:auteurs:pierre_bourdieu:mauvaise_foi_collective

Modernisation et mauvaise foi collective

« Ainsi, par exemple, un maçon réputé, qui avait appris son métier en France, fit scandale, autour de 1955, en rentrant chez lui, son travail terminé, sans prendre le repas traditionnellement offert en son honneur lors de la construction des maisons, et en demandant, en plus du prix de sa journée de travail (1000 francs), un dédommagement de 200 francs, pour le prix du repas : réclamer l’équivalent en monnaie du repas, c’était opérer un renversement sacrilège de la formule par laquelle l’alchimie symbolique visait à transfigurer le prix du travail en don gracieux, dévoilant ainsi le procédé le plus constamment utilisé pour sauver les apparences par un faire-semblant collectivement concerté. En tant qu’acte d’échange par lequel on scelle les alliances (« je mets entre nous la galette et le sel »), le repas final, [352] lors de la thiwizi de la moisson ou de la construction d’une maison, était prédisposé à jouer le rôle d’un rite de clôture destiné à transfigurer rétrospectivement une transaction intéressée en échange généreux (à la façon des dons qui couronnent les marchandages). (…)
On ne peut manquer de ressentir comme un scandale ou une provocation la prétention de celui qui, en proclamant la convertibilité du repas en monnaie [c'est-à-dire la coprésence de la rationalité économique et de la Tradition], trahit le mieux et le plus mal gardé des secrets, puisque tout le monde en a la garde, et qui viole la loi du silence assurant à l'économie de la bonne foi la complicité de la mauvaise foi collective. »

Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique ; précédé de trois études d’ethnologie kabyle. (Seuil 2000, 1972), p. 352.

P.352 de //Esquisse d'une théorie de la pratique//

fr/explorer/auteurs/pierre_bourdieu/mauvaise_foi_collective.txt · Dernière modification : 2024/04/04 13:03 de mansour

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