On définira ici l'intuition comme le sens de l’honneur* du physicien (pour limiter la discussion philosophique au strict nécessaire).
La physique, ce n’est pas seulement des modèles mathématiques : c’est surtout l’art de ne pas s’en servir… Savoir les conséquences d’une approximation, ses conditions de validité ; savoir discerner la barrière au-delà duquel on bascule dans le délire… Être physicien en temps normal, c’est s’extraire du délire. C’est développer des habitudes intellectuelles pour le déceler très vite, pour falsifier l’hypothèse, sortir le contre-exemple…
C'est cette qualité « indéfinissable » que les physiciens nomment intuition, ou parfois sens physique. Et bien sûr l'intuition se transmet, elle fait l'objet d'un apprentissage, quoi que tacite. Face à un inconséquent, le véritable homme d'honneur ne doit pas forcément sortir son épée… Il en est de même dans la formation intellectuelle du physicien. L'activité du chercheur repose sur une activité sociale et relationnelle culturellement définie, dont ce mystérieux concept porte la trace.
En anthropologie, on parlerait d'un « signifiant flottant » : un concept dont la plasticité ménage certaines ambiguïtés organisationnelles, qui rendent possible la coopération. Ce « signifiant flottant » a joué un rôle pivot dans mon propre cheminement - de la physique à l'anthropologie, de l'anthropologie à l'islam. Restait à ménager lesdites ambiguïtés dans mes communautés d'adoption (musulmane, académique), ce qui n'a pas toujours été possible (d'où mon repli stratégique sur les questions d'intersexuation*).