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JVDK : « Je préfère intervenir, je trouve cela plus moral… »

Van der Keuken exprime ici une position dont il est l'un des pionniers dans le documentaire, mais qui est tout à fait reconnue maintenant en ethnographie*, et j'ai toujours travaillé sur cette base.
Cette éthique est souvent mal comprise et mal acceptée, particulièrement dans le communauté musulmane, sans doute pour des questions d'honneur. Peut-être ce détour par l'image filmique permettra d'en exposer plus clairement les enjeux.

Morale

Dans certains débats sur le cinéma documentaire, on entend aussi s'exprimer une morale rigoureuse que je ne trouve pas intéressante : « Est-on intervenu sur la réalité, ou non ? » Les questions morales sont beaucoup plus larges. Elles ont une relation avec la totalité de la composition.
J'ai été à l'école du cinéma en Angleterre. On y était totalement imprégné par cette attitude morale qui veut que l'on ne puisse tourner que le réel. Cela relève du cinéma-vérité. On dirait qu'il n'y a pas de montage, que l'on tourne sans arrêt, que l'on ne prend pas position, que l'on n'intervient pas sur le temps. Lorsqu'on n'intervient pas, on est moralement correct. Dans ce cas, je ne veux pas être moral.
Je préfère intervenir, je trouve cela plus moral. Avec les erreurs que l'on fait, et les petites saloperies. Mais elles doivent être visibles. Ce qui est immoral, c'est de faire toutes ces cochonneries et un cinéma qui n'en montre rien. Et pourquoi le documentariste devrait-il être aussi moral alors que le réalisateur de fictions peut assassiner, tuer et violer dans ses films? Nous, nous devons toujours être moraux. Je trouve cela terrible.

Johan van der Keuken, Aventures d'un regard, 1998, p.116-117 (…)

Commentaire

Noter d'abord les accents batesoniens : « Les questions morales sont beaucoup plus larges, elles ont une relation avec la totalité de la composition. » - C'est l'idée de la structure qui relie

Concernant les « petites saloperies », les mots de Van der Keuken vont droit au but : la morale, quand on est là pour produire des images, c'est de rendre visible les cochonneries qu'on fait. Là encore, l'anthropologie visuelle est beaucoup plus au clair sur les enjeux.

Même d'un point de vue islamique et juridictionnel, si une « turpitude » est commise dans le cadre d'une recherche en sciences sociales, on ne va pas juger la turpitude d'un côté, et la démarche de sciences sociales de l'autre (à moins qu'on ait affaire à des fuqaha analphabètes, incapables de saisir les enjeux, mais c'est un autre problème…). La dimension visuelle de l'entreprise change totalement le contexte, pour évaluer la gravité de la faute. La situation serait absolument évidente, si les jugements n'étaient brouillés par un contexte d'exception, l'exception occidentale*

Pourquoi il faut frapper avec la caméra


(Extrait des Nuits Magnétiques de France Culture, en 1997).
Van der Keuken reconnaît l'asymétrie du rapport, mais sur la culpabilité du cinéaste, il exprime une position plus mesurée que Raymond Depardon : selon lui, la culpabilité n'est pas inévitable.