La connexion Bateson - Norbert Elias

⇒ Le problème pour moi est double :
• articuler la généralisation monothéiste que je propose de l'approche batesonienne,
• la situer par rapport à la généralisation antérieurement effectuée par Norbert Elias (à partir de Naven, l’œuvre de jeunesse), auteur désormais central pour les sciences sociales françaises :

« Une généralisation, à l'échelle universelle (totalité de l'histoire humaine depuis la préhistoire et sur l'ensemble de la planète), des principes mêmes de la description ethnographique ».

C'est là qu'il y a un nœud manifestement.

Norbert Elias, une ethnographie généralisée

Reprenant la conception weberienne de la sociologie comme science des groupes et l'analyse par Gregory Bateson de la dynamique des interactions deux à deux (processus de schismogenèse*), N. Elias formalise l'analyse de la « société des individus » en rompant à la fois avec la société comme entité collective et avec les individus comme unités closes (homo clausus). Pour N. Elias, ce sont les chaînes d’interdépendance entre les individus qui permettent d'expliquer l'histoire comme processus. Ce sont ces chaînes et leur mouvement qui constituent l'objet d'étude des sciences de la société (y compris les sciences historiques). La formalisation de N. Elias constitue ainsi une généralisation, à l'échelle universelle (totalité de l'histoire humaine depuis la préhistoire et sur l'ensemble de la planète), des principes mêmes de la description ethnographique, conduite pour sa part à l'échelle élémentaire (temporelle et spatiale) des événements et des objets directement observables. Cette lecture de N. Elias comme généralisation de l'ethnographie interactionniste à la Bateson repose sur l'idée chère à Émile Durkheim et Maurice Halbwachs, que la différence entre les « libres courants de la vie sociale » et les institutions n'est pas une différence de nature - les uns comme les autres sont faits de relations sociales - mais une différence de cristallisation - les institutions, comme les choses matérielles, sont des relations sociales cristallisées qui survivent aux individus. Le présent ethnographique, quant à lui, renvoie à la présence de l'observateur ; l'univers étudié est celui des interactions ou des cérémonies observables ou à la rigueur reconstituables par l'observateur. Bien que G. Bateson soit surtout reconnu en psychiatrie, on ne saurait oublier que sa théorie de la schismogenèse est issue de son travail ethnographique sur le rituel du Naven.
À ce niveau élémentaire, seules les interactions sont des événements directement observables dans leur totalité. Les interactions observées par l'ethnographe sont de différentes natures : interactions anonymes de face-à-face (auxquelles Erving Goffman a consacré son oeuvre), interactions fondées sur l'interconnaissance personnelle (auxquelles s'attache l'ethnographe des groupes primaires - parenté, voisinage, association), interactions dans l'institution (auxquelles s'intéresse la sociologie des organisations), cérémonies (objet de prédilection de la sociologie des religions et de l'anthropologie exotique), interactions médiatisées (depuis l'écriture jusqu'à internet).
L'ethnographie affirme donc de facto le primat de l'interaction sur les individus et les institutions, même si l'analyse du cadre de l'interaction, de ses formes et de son contexte, est centrale dans toute bonne description ethnographique et amène à restituer, au sein même du présent ethnographique, le poids des institutions et des objets, leur durée propre (le mort saisit le vif) ainsi que leurs manipulations et leurs réinterprétations incessantes par le présent.

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