Je raconte à ma petite amie mes retrouvailles avec un ami yéménite, qui m'inspire un nouveau sujet de recherche (voir mail du lendemain). La fin du mail évoque la manière dont je gère mon statut matrimonial (“fiancé”).
Chere M.,
Samedi, j'ai passe une journée magnifique avec A.. On a discute de 15h a minuit, d'abord dans son salon a qater, puis au resto, puis devant une chicha. Je ne l'avais pas vu depuis très longtemps, la dernière fois c’était un week-end en coup de vent, quand j'étais a Cambridge. Il m'a raconte la fin de son séjour en France, beaucoup de choses que je n'avais pas compris, et puis on a beaucoup parle de son mariage.
Ce type me touche, tu peux pas savoir. Il se livre profondément, et en même temps il sait ou il va. Il a une honnêteté a la fois bienveillante et exigeante, avec ce que ca peut avoir d’intolérance aussi. C'est fou ce type, j'ai l'impression qu'il est comme moi, la même sensibilité et le même regard sur la vie, la même posture. Même avec les filles, on est pareil…
Je ne sais pas si cette enthousiasme était l'effet du qat. Peut-être en partie. En tous cas ça me fait bizarre de te raconter ça maintenant, alors que depuis deux jours je suis malade comme un chien a cause de tout le qat que j'ai avale (erreur de débutant…).
J'ai un peu zone ces deux derniers jours, a me tenir le ventre,ambiance morose. Je m'en fous, je suis pas presse. Ce matin, j'ai rencontre une fille qui fait une thèse d'anthropo-Po -comme elle dit- au Yémen et qui réside dans un village de Jebel saber depuis qq mois. Elle va me donner des contacts super intéressants a taez (des assos de jeunes). J'aimerais vraiment trouver un logement en coloc, ce serait cool, mais je n’espère pas trop.
Bref, il faut que je parte, ici je ne m'attache pas et je reste avec des francophones.
Depuis mon arrivée, Eric, un copain de l'ENS, me dit : “ tu veux pas
travailler sur les mariages ? ” et moi je disais mouais, les mariages ???
Et puis en fait c'est l'histoire d'Abdu qui lui a donne cette
idée, et depuis qu'il m'a raconte à moi aussi, je suis super motive. Son
histoire importe peu, mais tu vois le personnage, Abdu qui veut voir le
visage de la fille avant de s'engager, la famille qui refuse, la fille qui
tombe malade, ses sœurs, deçues qui ne trouvent pas mieux, lui qui fait
marche arrière etc. (Je vais lui offrir le masque en prive, ça touche un
peu un point sensible dans le couple, je crois…) Plus avant ça il y a un
an, le caïd de son quartier qui le demande en mariage pour sa fille, son
père forcé d'accepter, lui qui refuse catégoriquement, etc.
C'est un sujet a double face : d'une part, le mariage cristallise des
choses de la structure sociale, c'est clair, mais surtout ça me
permettrait de décrire l'organisation sociale du point de vue de
l'individu, et c'est vraiment ce dont j'ai envie, c'est vraiment ça, en
fait, ce pourquoi je suis parti au Yémen, pour rompre avec une vision
distante, quoi que bienveillante, des yéménites.
En fait je retombe un peu sur mon sujet “ l'identité masculine face au
voile ”, mais avec un problème mieux pose.
On verra. Mais ça voudrait dire faire de la parenté ! Me farcir Françoise Héritier, la consanguinité, l'alliance et la filiation… En même temps ça m'aidera aussi a lire tout ça avec intérêt.
Bah, je sais pas.
Enfin, cette soirée, c'était magnifique. Je lui ai beaucoup parle de toi,
et de l'entendre parler de sa mariée, de ce qu'il espère et tout… C'est
un sujet qui résonne aussi. Et c'est bien.
J'ai trouve la solution pour parler de toi sans m’emmêler les pinceaux
(les Yéménites te demandent sans cesse si tu es marié). Je vais dire que
je suis fiancé : si je parle d'une “ girlfriend ” ils entendent pute, et
si je dis marie, ils attendent les enfants. Non, fiancé, c'est bien.
J'ai même la photo sur le canapé avec Abu M., qui m'a donne sa fille en
mariage…
Bon, je renonce à te retransmettre l'enthousiasme que j'ai eu. Là l'ambiance est retombée.
Je t'embrasse si fort.