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fr:comprendre:personnes:waddah

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 ====== Waddah ====== ====== Waddah ======
 +[{{ https://media.taez.fr/images/HAWDH/Waddah/WaddahJacynthe.jpg?200|Waddah sur les hauteurs d'Aden (octobre 2003)}}]
 +===== L'essentiel =====
  
-===== Présentation =====+Waddah est un cousin de [[fr:comprendre:personnes:ziad|Ziad]] par son grand-père maternel : 
 +  * Ziad est le cadet de la fille aînée de la première épouse ([[fr:comprendre:contextes:maryam|Maryam]]) ; 
 +  * Waddah est l’aîné de la fille aînée de la seconde épouse (celle qui ensuite a donné des garçons).
  
-{{ :fr:comprendre:images:medaillons:medaillon-maison-blanche.jpg?nolink&200|}} +Waddah a grandi au Hawdh al-Ashraf avant de rejoindre ses oncles à Sanaaun an ou deux avant mon arrivéeIl travaille dans le bâtiment administratif d’une banque, pour le compte d’un haut responsable du régime.
-Waddah est le cousin de Ziad par la seconde épouse de son grand-père maternel, avec laquelle il habitait la belle maison blanche dans les années 1960 et 1970 - les années fastes de [[fr:comprendre:contextes:hawdh_al-ashraf|Hawdh al-Ashraf]] - tandis que la première épouse [[fr:comprendre:contextes:maryam|Maryam]] (la grand-mère de Ziad) restait au village avec ses deux filles. Dans les années 2000, les oncles de Waddah sont partis depuis longtemps vivre dans la Capitaleoù ils jouissent de bons postes, et la maison est louée à des étrangersDeux ans plus tôt, Waddah est appelé à son tour à Sanaa pour travailler dans une banque, pour le compte d’un haut responsable du Régime. Isolé dans une ville étrangère, il garde pourtant la nostalgie de sa ville natale et de son adolescence, avec ses cousins Nabil et Ziad. De passage à Sanaa début octobre 2003, vers la fin de mon premier séjour, je prends contact avec Waddah. Il se montre très motivé pour me parler, et me donner sa version de l’histoire. Mais à l’aube du troisième jour, sur une sorte de quiproquo, notre relation change de nature. Finalement, c’est à ses côtés que je passerai les dernières semaines de mon séjour, tout en mettant de l’ordre dans mes matériaux.+
  
-[{{ :fr:comprendre:images:enquete:maitrise-extrait-waddah_1.jpg?200|Voir les évocations de [[Waddah dans ma maîtrise]].}}] +=== Rencontre ===
-La relation avec Waddah est analogue à beaucoup « d’alliances d’enquête » de la sociologie post-coloniale - [[fr:atelier:methodologie:féminisme et post-colonialité|Florence Weber]] étant l’une des rares chercheuses à l’évoquer frontalement. Pour autant, le véritable allié de mon enquête, à qui serait dédicacé mon [[fr:comprendre:textes:academia:maitrise|mémoire]], c’était Ziad. L’alliance avec Waddah n’était qu’une alliance de repli, après le retrait de Ziad : le symptôme d’une impasse, dont Waddah bien malgré lui se retrouvait témoin. C’était une alliance sans avenir, et que Waddah m’ait fait cette proposition sexuelle suffisait à l’exprimer.+
  
-Cependant depuis décembre 2017, de nouveaux éléments viennent complexifier cet épisode doctobre 2003, que j’avais toujours gardé secret.+Je fais connaissance avec Waddah aux deux tiers de mon premier séjour (2003)lors de son passage à Taez pour les congés du 26 septembre (Fête Nationale). Lhistoire du Za’îm était déjà terminée à ce stadeZiad avait perdu la face et s’était retiré dans son village, mais je continuais à chercher des interlocuteurs disposés à m’expliquer ce qui s’était passé. Je recontacte Waddah une semaine plus tard, étant moi-même de passage à Sanaa, et je reste finalement à ses côtés les trois dernières semaines. C’est //contre lui// - au sens propre comme au figuré - que j’ai pu construire une vision sociologiquement cohérente, la « [[fr:zaim:accueil|théorie du Za’îm]] » de mon premier mémoire.
  
-  * L’avance de Waddah n’était-elle pas plutôt une question, que j’ai choisi de prendre comme une proposition sincère ? N’ai-je pas décidé moi-même de le prendre au mot pour tous les autres avant lui, qui me renvoyaient sans cesse aux mêmes contradictions ? +[{{ https://media.taez.fr/images/HAWDH/Waddah/Waddah-bureau.jpg?200|Waddah dans son bureau à Sanaa (mars 2006)}}] 
-  * Par ailleurs, le patron de Waddah n’était autre que le chef de la police politique du Régime (voir [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/SPrewind_MaisonAlBahr.html#__RefHeading___Toc5586_2604496844|cet article]], publié au moment de la guerre civile). Je le savais parfaitement au moment des faits, mais cela paraissait secondaire par rapport au mystère dont j’avais été témoin les semaines précédentes : cette histoire du Za’im, que Waddah n’avait suivi que par ouï-dire, et dont il saisissait mal encore le caractère inédit - un « printemps arabe dans un verre d’eau »… +=== Dans mes écrits ===
-  * Ainsi, n’est-ce pas plutôt avec le Régime Yéménite que j’ai noué dans ces circonstances une alliance paradoxale, par dessus Waddah en quelque sorte ? Une alliance actant la nécessité des sciences sociales, et en même temps leur faiblesse structurelle - un talon d’Achille…\\ Bien entendu huit mois plus tard, j’étais incapable de saisir cette complexité. De Waddah, je savais seulement qu’il avait été piégé et contraint, au moins en partie, et que cela n’avait rien à voir avec de « l’homosexualité ». Mais moi, il fallait bien me considérer comme « homosexuel », puisque je souhaitais à tout prix retourner là-bas où ces choses avaient cours…+
  
-<WRAP center round alsqr tip> +Dans cette première étudeWaddah est un personnage minime, sur lequel il était inconcevable d’insister à l’époque (voir la page [[fr:comprendre:personnes:waddah_dans_ma_maitrise|Waddah dans ma maîtrise]]). Il n’apparaît dans aucun de mes écrits ultérieurs, jusqu’à l’abandon de ma thèse (2013)Pour autant je le recontactais chaque année à ma descente de l’avioncomme pour avoir son accord taciteavant de prendre le car pour Taez. Au fond, tout mon travail avait pour finalité de réintroduire Waddah dans l’étude, de surmonter le non-dit qui lui était associé. Cela n’a jamais été possible.
-Mine de rience petit incident m'a préservé d'une erreur épistémologique fondamentale. Surtout les chercheurs en sciences politiquesla commettent lorsqu'ils dissertent allègrement sur « le Régime », alors que ce Régime est la condition-même de leur observation. Il y là une //erreur de type logique// (au sens de Bateson et de l'école de Palo Alto: considérons la classe des observations produites dans telles et telles conditions - ce qu'on devrait appeler "régime", rigoureusement… ; si ces chercheurs ajoutent des observations sur le régime lui-même, ils comptent la classe parmi les membres qu’elles contient…\\ +
-Pour ma part, je n'ai jamais pu oublier ce petit incident, survenu juste à l’interfaceentre mon premier arrachement au terrain et mon premier passage à l’écriture. Dans mon enquêtecet incident est analogue au nerf optique : tâche aveugle sur le fond de la rétinemais sans lequel il n’y aurait pas de perception du tout+
-{{anchor:maitrise_conclusion_annotee}} +
-  * Voir la conclusion de ma maîtrise (juin 2004)[[fr:comprendre:textes:academia:enqueter_a_l_ombre_du_stigmate|« Enquêter à l'ombre du stigmate »]] où j'esquisse une méthodologie de la honte. +
-</WRAP>+
  
 +[{{ :fr:comprendre:images:famille:waddah-soldat.jpg?200|Waddah sur le front de l'Est à Marib (2022)}}]
 +=== Un pavé dans la mare ===
  
-  * Voir également [[Waddah dans ma maîtrise]] (page spéciale).+À partir de [[fr:comprendre:moments:accueil#decembre_2017|décembre 2017]], je commence à tout déballer : d’abord par écrit sur mon site, puis en arabe sur youtube (mars 2018), puis à nouveau dans de nombreux textes (chantier « scène primitive »), et enfin sur ce wiki.
  
-====== Écrits récents sur Waddah ======+Révéler cette histoire a alors pour moi le sens d’une protestation tous azimuts : à la fois contre la situation au Yémen, et le récit qui en est proposé par les sciences sociales ; contre les contradictions de la société française, et celles des musulmans diplômés ; en fait contre l’ensemble des obstacles structurels que j’affronte en tant qu’anthropologue-musulman ([[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/GiletsJaunes/GJw_Anthropologue-Musulman.html|cri de décembre 2018]]).
  
-===== Passage à l'acte sexuel et passage à l'écriture ===== + \\ 
-(Situer [[fr:comprendre:moments:#octobre 2003]] dans la chronologie).+Waddah fait aujourd'hui la guerre sur le front Est (Marib). Il aimerait retourner à Taez.\\ 
 +Nous n’avons jamais cessé d’être en contact, plus ou moins régulièrement.
  
-  * [[https://old.taez.fr/sites/2021/oct2003.html|Octobre 2003 : pourquoi j'ai violé Waddah]] (2021)+----
  
-Voir aussi dans mon chantier [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/#solitudeWaddah|scène primitive]] : +<WRAP centeralign lo> 
-  * « Les hauts murs de la Maison Al-BahrPetite leçon d'épistémologie du régime yéménite » (janvier 2018) +[[https://wiki.taez.fr/_media/fr:comprendre:images:carrefour:vue-orage-kakemono.jpg|{{ :fr:comprendre:images:medaillons:medaillon-maison-blanche.jpg?nolink&100 |Panorama de mes interlocuteurs sur le carrefour de mon enquête.}}]] Surplombant le carrefour, mais louée à des étrangers,\\ la maison du grand-père de Waddah avec sa seconde épouse.\\  \\
-  * « La solitude de Waddah ou la condition de musulman diplômé » (janvier 2019)+
  
 +===== Textes pour aller plus loin =====
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-==== Loubli de ma dette envers Waddah (juillet-août 2004 / février 2006) ====+Mes premiers textes avec Waddah sont « brut de décoffrage », il fallait simplement dire les choses.\\ 
 +Jai depuis testé différentes stratégie d’écriture, différentes formes de pudeur, associées à différents enjeux. Je tente ici de faire le point.
  
-//Je colle ci-dessous un texte assez riche, tiré de [[fr:atelier:textes:ebauches:20210724-prepubliables]] (2 août 2021, texte n°4). Ici il s’agit d’approfondir mes rapports avec Waddah à mon retour en juillet 2004 et les années suivantes, à la lumière des révélations de l'histoire familiale ([[..:contextes:maryam]]**à lire d'abord**).//+[[fr:comprendre:personnes:waddah:Waddah et Maryam|{{ https://old.taez.fr/sites/2018-2020/documents/publis/arbres/ArbreKhodshy-2020.jpg?200|Arbre de parenté de 2020}}]] 
 +=== Sur sa position dans la famille ===
  
-[{{ https://media.taez.fr/images/HAWDH/Waddah/WaddahJacynthe.jpg?300|Waddah sur les hauteurs d'Aden (octobre 2003)}}+  * [[fr:comprendre:contextes:maryam|Maryam : le clan matriarcal de Ziad]
-Mon premier terrain au Yémen, en octobre 2003, s’est terminé sur un rapport homosexuel. Waddah s’était exilé deux ans plus tôt dans la capitale Sanaa, pour travailler dans une banque, et je venais de passer deux mois dans le quartier de son enfance. Il restait plus de trois semaines avant mon vol retour, mais à Taez j’étais confronté à une impasse. Croisé brièvement fin septembre, lors de son passage chez sa famille à l’occasion de la fête nationale, Waddah s’était montré disposé à me parler. Je le recontacte depuis Sanaa, et nous commençons à reprendre ensemble toutes mes observations, pendant quarante-huit heures. À l’aube du troisième jour, il me réveille pour me faire une proposition sexuelle, que je ne sais pas repousser. Waddah en est malade. Il revient à moi les jours suivants, dans l’espoir de dissiper le malentendu, mais en fait nos rapports finissent toujours au même point. Plus il revient, plus je lui échappe, et plus est grande la tentation de me haïr. Je m’accroche à cette relation les trois dernières semaines, et c’est finalement lui qui me conduit à l’aéroport. Mais à mon retour neuf mois plus tard, je viens de soutenir un premier travail universitaire, et c’est à Ziad son cousin de Taez que le mémoire est dédicacé. De Waddah, j’ai fait un personnage secondaire, à peine mentionné dans les remerciements.+  * [[fr:comprendre:personnes:waddah:Waddah et Maryam|Waddah et Maryam]] (juillet 2021)
  
-Évidemment, j’avais une dette à l’égard de Waddah - une dette que n’annulait pas la somme d’argent envoyée depuis la France, afin de payer des cours d’anglais au Centre Américain. Avec les droits d’inscription, en bon Yéménite, Waddah avait préféré s’acheter une arme, un poignard d’apparat. Mais il faisait comme il voulait après tout, ma dette à son égard était d’une autre nature. Pour régler cette dette, la seule manière concevable pour moi à l’époque était de faire avec lui comme avec Ziad : un tableau de sa vie, de son environnement, dont il aurait été le héros. Dans une première phase de ce second séjour, du 25 juillet au 16 août 2004, j’envisage de poursuivre à ses côtés mon enquête sur la jeunesse yéménite. Mais nos rapports sont trop compliqués, et sa vie à Sanaa vraiment trop sinistre.+=== Sur le nœud d’octobre 2003 ===
  
-Waddah a obtenu son poste grâce aux relations de sa grand-mère maternelle, et il travaille en fait pour le compte d’un notable du Régime. Dans le bâtiment administratif d’une grande banque yéménite, il passe ses journées derrière un bureau, à l’entrée d’un immense open-space où s’affairaient des dizaines de comptables. En mathématiques appliquées, son cousin Ziad est sorti major de l’université de Taez, mais Waddah n’a pas de telles compétences, sa seule fonction est de surveiller les aller-et-venues. Le reste de son temps, Waddah le passe dans les environs de la villa de son parrain - non loin de l’université, et de ce qui deviendra sept ans plus tard la Place du Changement, melting-pot de toutes les jeunesses yéménites. Appelé à Sanaa par « le mari de sa tante » (//zawj khâlatuh//), Waddah n’en partage pas moins la loge du portier et des chauffeurs, tous issus des Hauts Plateaux, et qu’il trouve particulièrement frustres. Il se noue d’amitié avec les rares commerçants et artisans de ces larges avenues désertes, originaires comme lui de Taez, et qui vivent entassés dans de minuscules locaux pour célibataires (//dukkân//). Dans les villes yéménites, tous les immeubles sont prévus avec des locaux commerciaux en rez-de-chaussée, même hors des zones commerciales : ils servent à loger les hommes célibataires, qui ne doivent pas croiser les familles dans les cages d’escaliers. La vie de Waddah m’apparait particulièrement sinistre, bien qu’elle soit le lot de tous les célibataires exilés, dans toutes les villes arabes du monde. Peut-être à cause de cette « situation » (//al-wad'//), qui n’offre vraiment aucune perspective, et peut-être parce que Waddah n’assume pas notre relation. La question est indécidable en l’état. Chaque fois que Waddah m’emmène dans un salon chez quelqu’un, je le sens à fleur de peau, méfiant et victime des quolibets, sans que je puisse savoir la part de ma présence dans cette situation humiliante. Mon malaise est trop grand, et je renonce à suivre cette piste dans la Capitale. 
  
-=== Waddah et Ziad === +__Notices :__ 
-{{anchor:Waddah_et_Ziad}}+  * **[[fr:comprendre:processus:le_noeud_24_juillet_2022|Le noeud de l'histoire]]** : version juillet 2022 à mon départ de Sète, avec les enjeux en trois paragraphes. 
 +  * **[[fr:comprendre:processus:le_noeud_26_septembre_2022|Le noeud de l'histoire]]** : version septembre 2022 à Jeddah, pour traduction vers l’arabe [[ar:jeddah:noeud|عقدة القصة]]. 
 +  * [[fr:comprendre:notice|Notice sur l’évolution du non-dit]] 
 +  * …[[fr:comprendre:processus:notices|versions précédentes de la notice]]
  
-[{{ https://media.taez.fr/images/HAWDH/Waddah/Waddah-bureau.jpg?300|Waddah à son bureau (mars 2006)}}]+__Récits développés :__ 
 +  * [[https://old.taez.fr/sites/2021/oct2003.html|Les dimensions de l'irréparable (Pourquoi j’ai violé Waddah)]] (été 2021) 
 +  * [[fr:comprendre:notice_sur_le_marivaudage_de_mon_premier_sejour#schema|Schéma : Le marivaudage de mon premier séjour]]
  
-Quand je retourne à Taez, Waddah me suit : il veut se battre avec Ziad, qui n’a pourtant rien demandé. Waddah veut jouer les preux chevaliers, il me demande solennellement de choisir, auquel des deux va mon cœur. C’est pathétiqueje ne sais plus où me mettre, incapable de gérer une telle situation, alors je botte en touche. Je rappelle que je suis là pour poursuivre mon enquête, que Ziad est mon interlocuteur privilégié. Waddah se laisse convaincre de retourner à Sanaa, et c’est un soulagement. Je peux enfin l’oublierme croire en tête-à-tête avec l’objet de ma première étudeet Ziad est le seul témoin de cette étrange situation.+//En général le récit est articulésoit à l’incident avec Nabil quelques jours plus tôt ([[fr:comprendre:moments:accueil#le_29_septembre_2003|29 septembre 2003]])soit avec ma rupture amoureuse huit mois plus tard ([[fr:comprendre:moments:accueil#juin 2004|juin 2004]])soit les deux.//
  
-À l’époque, Ziad sort d’une première expérience professionnelle comme expert-comptable dans les usines de farine du port d’Aden, par lesquelles transite le blé de l’aide alimentaire mondiale. Sur fond d’un vaste système de corruption, qu’on lui demandait au fond de cautionner, il s’est enferré dans un bras de fer avec sa hiérarchie, et a fini par claquer la porte. À qui veut bien l’entendre, Ziad explique les grammes de farine qui disparaissent, sur chaque sac produit, et les sommes astronomiques ainsi détournées… Moi je ne sais que faire de ces histoires cette fois, Ziad apparaît en décalage avec son environnement social, qui juge son départ plutôt sévèrement. Je ne sais que faire de ces postures de justicier - non-sollicité - que j’ai vaguement conscience d’encourager malgré moi. Ziad n’insiste pas, mais je le sens qui s’enfonce dans un océan de perplexité.+__Rédigé à l’époque :__
  
-{{ youtube>xAE2whwQnfU }} +  * dans mes carnets la chronique s’interrompt (si ce n’est pour raconter ma [[fr:comprendre:moments:2003_10_15-4_verites_de_ziad|dernière confrontation avec Ziad]], le 15 octobre 2003]]) 
-<WRAP centeralign>En février 2021Ziad évoque son expérience professionnelle de contrôleur financier</WRAP>+  * dans ma correspondance intime : voir [[fr:comprendre:textes:lettres:2003_10_18-adieux|lettre du 18 octobre 2003]] (4e §) 
 +  * [[fr:comprendre:personnes:waddah_dans_ma_maitrise|Waddah dans ma maîtrise]]déposée en juin 2004.
  
-Au cours des dix-huit mois suivants (2004-2005), Ziad connaît plusieurs expériences professionnelles dans la capitale Sanaa, cette fois comme contrôleur financier. Au-delà de son diplôme, ces postes exigeaient d’être introduit dans les milieux du pouvoir économique. À mon retour en février 2006, Waddah se vantera d’avoir été l’artisan de sa réussite, d’avoir tout fait pour l’aider, seulement Ziad n’a pas été raisonnable.+=== Sur nos rapports ultérieurs ===
  
-Aujourd’hui je comprends ce que Waddah cherchait à me dire il est effectivement probable qu’après son premier échec professionnel, Ziad se soit rapproché de Waddah pour profiter de ses relations. Il y avait là une rupture dans le fonctionnement de cette famille (voir Texte n°2 : Waddah et [[..:contextes:maryam]], sur l'arrière-plan familial et historique) : jusque là, les deux branches avaient toujours été en compétition, la branche de Maryam cherchant à maintenir les conditions de son indépendance, en construisant sa propre //baraka//. Donc par le simple fait qu’il sollicitait l’aide de Waddah, Ziad commençait à détricoter l’équilibre de sa propre famille. Mais pour lui, cette baraka avait perdu son sens (basculement psychique qu’on peut décrire comme une décompensation((Cela ne me pose absolument pas problème d’utiliser le mot « décompensation » - de penser la « réalité » de la folie de Ziadet de l’envisager sous l’angle de la psychiatrie. Quelle que soit cette réalité, la psychiatrie ne reste qu’un point de vue sur le réel, que l’on adopte lorsqu’on ignore l’origine du basculement, qu’on n’y a pas d’accès. Adopter le point de vue psychiatrique n’est pas un problème intellectuellement, mais c’est contradictoire avec ma démarche d’ethnographe, dans laquelle je m’efforce de comprendre l’effet induit par ma présence (en quoi j’ai été moi-même le catalyseur de cette décompensation).\\ Il faudra développer…)), déclenchée par sa déroute lors de mon premier séjour).+  * [[fr:comprendre:personnes:waddah:reflexivite|Waddah et la réflexivité d’enquête]] (avril 2022) 
 +  * [[fr:comprendre:personnes:waddah:oubli|L’oubli de ma dette envers Waddah, juillet-août 2004 / février 2006]] (août 2021) 
 +  * [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/#solitudeWaddah|La solitude de Waddah, ou la condition de musulman diplômé]] (janvier 2019)\\ (= prolongement du chantier « Scène Primitive »centré sur l’incident avec Nabil)
  
 +=== Sur le Régime ===
  
-Bien sûr à l’époque, je ne veux pas percevoir ce dont Waddah essaie de me parlerJ’ai le sentiment étrange qu’il cherche à se donner de l’importance, à se donner un rôle dans l’histoire, que pour ma part je considère comme minimeJe viens de démarrer une thèse, et je suis plus décidé que jamais à renouer avec Ziad, à assumer ce lien, où semble se jouer la cohérence de mon positionnementSauf que Ziad, qui refuse maintenant d’aller travailler, n’a jamais été aussi marginal. Il réagit à mon arrivée en la tournant en dérision - sur le mode (en retraduisant un peu…) : « Ce PD d’Occidental vaut mieux que vous tous » - et je finis par me sentir trahi. Je me tourne alors vers mes autres interlocuteurs, qui m’apparaissent plus raisonnables (et qui sont tous témoins de ma première enquête, à l’exception de [[comprendre:personnes:lotfi]] lui-même).+  * [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/SPrewind_MaisonAlBahr.html|Les hauts murs de la Maison Al-BahrPetite leçon d'épistémologie du régime yéménite]]\\ (inclut la traduction de l’article : [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/SPrewind_MaisonAlBahr.html#__RefHeading___Toc5586_2604496844|« L'Officier n°1 des Renseignements à Taez »]], paru en 2015 dans les premiers mois de la guerre civile).
  
-(CONCLUSION TEMPORAIRE) 
  
-Au fond, je me positionne comme je peux entre deux milieux sociaux :+===== Une parole légiférée? =====
  
-  * Certains prennent ma présence pour support de leurs revendications libéralesmais en fait ils prennent ma perversité pour acquise. +Autour de moi jusqu’à ce jouron s’étonne encore qu’il me faille raconter cette histoire. On ne semble pas comprendre l’injustice phénoménale qui découle de cette situation, à la fois pour moi et pour ceux qui ont été mes interlocuteursOn préfère ne pas voir ce pacte mafieux entre islam et sciences sociales, typique de notre ère postcoloniale tardive[[fr:glossaire#postcolonial|*]], dont découlent tant d’autres injustices de par le monde, aussi bien pour les sociétés musulmanes que pour les sociétés européennes. De nos jourson veut croire possible d'avoir un coeur de musulman sans jamais utiliser sa langue dans le droit cheminles sciences sociales et les institutions n'étant faites que pour être manipuléesRéciproquementon veut croire que la voie royale vers une scientificité sereine sur les affaires humainesest l’évitement systématique des dilemmes du coeur. La démission semble être la règle, pour les institutions et pour ceux qui les incarnent.
-  D’autrespar amitié pour Ziadvoudraient croire en ma respectabilitémais ils posent des contraintes inatteignables. +
-En analysant la vulgaritéje réalise peu à peu que ces deux milieux n’en font qu’un, qu’il s’agit en fait de postures, ou plutôt deux modes de socialisation alternatifs : l’un fondé sur une justification conservatrice, l’autre sur une justification libérale.+
  
-Lorsque Ziad est diagnostiqué « schizophrène » (sans doute par un vulgaire psychiatre formé quelque part en URSS…) personne ne fait vraiment attention à ce diagnostique on cherchait juste à remettre Ziad au travail… Mais pour moi ce diagnostique fait moucheparce qu’il apparaît en phase avec toutes mes analyses antérieures. Un an après ma conversion (été 2008), je saute sur ce diagnostique de schizophrénie et j’en fais un objet à déconstruire, qui m’occupera jusqu’à la vague des Printemps Arabes.+Dans cette situation, il est parfaitement légiféré de me faire entendre, aussi bien dans la jurisprudence islamique (voir //[[http://islammedia.free.fr/Pages/ryadh_salihin/256.htm|Le Jardin des Vertueux]]// de l’imam al-Nawâwîchapitre sur les cas où médire est toléré) que dans la méthodologie ethnographique ([[fr:atelier:methodologie:circumstantial_activist|L'ethnographe comme "circumstantial activist"]]), jusqu’à ce que cesse l’injustice que nous subissons. Aux sociologues et aux prédicateurs, il faut renvoyer les derniers versets de la [[https://www.lenoblecoran.fr/mohammed-chiadmi-online/#_s026|Sourate des Poètes]] :
  
 +<WRAP centeralign>
 +//« [224] Quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent. [225] Ne vois-tu pas qu’ils errent au gré de leurs caprices, [226] et qu’ils se vantent de choses qu’ils n’ont jamais accomplies ? [227] Excepté ceux d’entre eux qui ont la foi, qui pratiquent le bien, qui invoquent fréquemment le Nom de Dieu et qui se servent de leurs poèmes pour se défendre quand ils sont agressés. Les agresseurs apprendront un jour quel sort funeste les attend ! »//
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 <WRAP rightalign>[[..:|Retour]]</WRAP> <WRAP rightalign>[[..:|Retour]]</WRAP>
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fr/comprendre/personnes/waddah.txt · Dernière modification : 2023/02/26 20:30 de mansour

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