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fr:comprendre:personnes:waddah:waddah_et_maryam

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 ===== Waddah et Maryam ===== ===== Waddah et Maryam =====
  
-(texte de juillet 2021)+<wrap todo> Texte de juillet 2021, rédigé à partir de l'incident d'[[fr:comprendre:moments:#octobre 2003]].</wrap>
  
-{{ :fr:comprendre:images:medaillons:medaillon-maison-blanche.jpg?nolink&200|}} +//()On peut dire ici rapidement les raisons qui poussaient Waddah dans ce piège : raisons d’ordre familial et sociohistoriqueétroitement liées à lhistoire politique du Yémen au XXème siècle, et plus fondamentalement encore à la transition entre deux phases de l’histoire du monde ://
-Waddah est le cousin de Ziad par la seconde épouse de son grand-père maternel, avec laquelle il habitait la belle maison blanche dans les années 1960 et 1970 - les années fastes de [[fr:comprendre:contextes:hawdh_al-ashraf|Hawdh al-Ashraf]] - tandis que la première épouse [[fr:comprendre:contextes:maryam|Maryam]] (la grand-mère de Ziadrestait au village avec ses deux filles. Dans les années 2000, les oncles de Waddah sont partis depuis longtemps vivre dans la Capitale, où ils jouissent de bons postes, et la maison est louée à des étrangers. Deux ans plus tôtWaddah est appelé à son tour à Sanaa pour travailler dans une banque, pour le compte dun haut responsable du Régime. Isolé dans une ville étrangèreil garde pourtant la nostalgie de sa ville natale et de son adolescence, avec ses cousins Nabil et Ziad. De passage à Sanaa début octobre 2003, vers la fin de mon premier séjour, je prends contact avec Waddah. Il se montre très motivé pour me parler, et me donner sa version de l’histoire. Mais à l’aube du troisième jour, sur une sorte de quiproquo, notre relation change de nature. Finalement, c’est à ses côtés que je passerai les dernières semaines de mon séjour, tout en mettant de l’ordre dans mes matériaux.+
  
-[{{ :fr:comprendre:images:enquete:maitrise-extrait-waddah_1.jpg?200|Voir les évocations de [[..:Waddah dans ma maîtrise]].}}] +  * //ordre colonial l’économie est centrée sur le comptoir britannique d’Aden, tandis que Sanaa reste "au Moyen-Âge" ;// 
-La relation avec Waddah est analogue à beaucoup « d’alliances d’enquête » de la sociologie post-coloniale - [[fr:atelier:methodologie:féminisme et post-colonialité|Florence Weber]] étant l’une des rares chercheuses à l’évoquer frontalement. Pour autantle véritable allié de mon enquête, à qui serait dédicacé mon [[fr:comprendre:textes:academia:maitrise|mémoire]], cétait ZiadL’alliance avec Waddah n’était qu’une alliance de repliaprès le retrait de Ziad : le symptôme d’une impasse, dont Waddah bien malgré lui se retrouvait témoin. C’était une alliance sans avenir, et que Waddah m’ait fait cette proposition sexuelle suffisait à l’exprimer.+  * //ordre post-colonial : l’économie est centrée sur la capitale Sanaa, Aden étant vouée à la décrépitude ;// 
 +//En tant que ville médianegrenier et capitale yéménite des ressources humainesTaez était profondément marquée par ce basculement à lœuvreMais bien sûrces raisons étaient loin de m’apparaître clairement à l’époque…//
  
-Cependant depuis décembre 2017, de nouveaux éléments viennent complexifier cet épisode d’octobre 2003, que j’avais toujours gardé secret. 
  
-  * Lavance de Waddah nétait-elle pas plutôt une questionque jai choisi de prendre comme une proposition sincère ? Nai-je pas décidé moi-même de le prendre au mot pour tous les autres avant lui, qui me renvoyaient sans cesse aux mêmes contradictions ? +Pendant mon premier terrain, on mavait présenté Waddah comme un cousin de mes interlocuteurs, exilé à Sanaa, où il travaillait comme employé dans une banque, pour le compte dun notable du Régime. Je connaissais déjà son frère Walid, un peu plus jeune, qui aimait fréquenter le quartier de ses cousins maternels, malgré le fait qu’on y raillait souvent ses origines « turques » (les turcs étant non arabes, non tribaux, et passant pour à peine musulmans, du fait de la laïcité instaurée par Atatürk…). 
-  * Par ailleurs, le patron de Waddah n’était autre que le chef de la police politique du Régime (voir [[https://old.taez.fr/sites/2018-2020/ScenePrimitive/SPrewind_MaisonAlBahr.html#__RefHeading___Toc5586_2604496844|cet article]], publié au moment de la guerre civile)Je le savais parfaitement au moment des faitsmais cela paraissait secondaire par rapport au mystère dont javais été témoin les semaines précédentes cette histoire du Zaimque Waddah n’avait suivi que par ouï-dire, et dont il saisissait mal encore le caractère inédit un « printemps arabe dans un verre d’eau »… + 
-  * Ainsi, n’est-ce pas plutôt avec le Régime Yéménite que j’ai noué dans ces circonstances une alliance paradoxale, par dessus Waddah en quelque sorte ? Une alliance actant la nécessité des sciences sociales, et en même temps leur faiblesse structurelle - un talon dAchille…\\ Bien entendu huit mois plus tardjétais incapable de saisir cette complexitéDe Waddahje savais seulement quil avait été piégé et contraintau moins en partieet que cela navait rien à voir avec de « lhomosexualité »Mais moi, il fallait bien me considérer comme « homosexuel »puisque je souhaitais à tout prix retourner là-bas où ces choses avaient cours…+ 
 +[{{ https://old.taez.fr/sites/2018-2020/documents/publis/arbres/ArbreKhodshy-2015.jpg?300|Arbre de parenté de 2015}}] 
 + 
 +En fait, Waddah et mes interlocuteurs à Taez avaient en commun un grand-père maternel, né vers 1930 dans les montagnes de la Hujariyya, à mi-chemin entre Taez et Aden. Abduh avait eu deux épouses. La première venait de son village mais elle fit plusieurs fausses coucheset lorsquelle finit par mettre au monde un enfant ce fut une petite fille (la mère de mes interlocuteurs). Aussi vers le tournant des années 1960, Abduh prit-il une seconde épouse, issue dune famille citadine de Sanaa, qui allait d’abord lui donner une fille (la mère de Waddah) puis plusieurs fils. 
 + 
 +Cette seconde épouse avait effectivement un ancêtre ottoman, issu de la seconde occupation ottomane du Yémen (1872-1918). Son père avait travaillé comme secrétaire auprès des imams, et pourtant à l’époque de ce mariage cette famille passait pour très pauvre. Il faut dire qu’en 1948, l’imam Ahmad avait fait de Taez sa capitale, afin de mieux contrôler la modernisation venue d’Aden, tandis que Sanaa restait dans le sous-développement. Abduh pour sa part travaillait dans le commerce avec la colonie britannique, véritable plaque tournante du Commonwealth dans le boom économique de l’après-Seconde Guerre, et second port mondial en termes de tonnage après Rotterdam… Ses affaires étaient déjà florissantes avant la révolution républicaine de 1962, qui accéléra encore le développement économique de Taez (dans un premier temps seulement). Parallèlementla ville de Sanaa retrouvait son statut de capitale, et sa belle-famille « ottomane » trouvait sa place dans le nouveau régime tribalo-républicain. Parmi les oncles de Waddah, plusieurs allaient accéder à de très bons postes après des études supérieures à l’étranger, grâce à leur inscription dans les réseaux de la Capitale. 
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 +{{anchor:circonstance_supplementaire}} 
 +Pendant ce temps [[fr:comprendre:contextes:maryam|Maryam]] (grand-mère maternelle de Nabil, Ziad et Yazid), restait dans son village de la Hujariyya, avec sa fille unique, sous l’autorité de sa belle-mère… **Circonstance supplémentaire** : celle-ci était aussi la seconde épouse de son père. Une famille recomposée en quelque sorte, construite autour de cette femme flamboyante, qui avait quitté son premier mari en emportant avec elle son premier enfant - Abduh, auquel un second mari avait jugé bon de marier sa propre première fille… Pour Maryam le divorce n’était pas concevable, du fait que la mère d’Abduh était sa belle-mère doublement : en tant qu’épouse de son père (//âmmatuh// en arabe, littéralement « tante paternelle ») et en tant que mère de son époux (//khâla// en arabe, littéralement « tante maternelle »). 
 + 
 +[{{ https://old.taez.fr/sites/2018-2020/documents/publis/arbres/ArbreKhodshy-2020.jpg?300|Arbre de parenté de 2020}}] 
 + 
 +Donc Maryam resta jusqu’au bout fidèle à cette femme, et aux usages de la société yéménite qui l’enfermaient doublementDamnée par la beauté d’une femmeelle finit par donner à Abduh un second enfant, dont le destin voulut quil fut encore une petite fille (la mère de Ammar). Une lignée de femmes, qui s’annonçait bientôt dépourvue de soutiens masculins… 
 + 
 +Pour Maryam, le salut se présenta en la personne d’Abdelghanî (le père de mes interlocuteurs) un cousin éloigné dAbduhqui cherchait à se caser après une vie tumultueuse dans le port d’Aden, et qui apportait un peu de soutien matériel à ces femmes lors de chaque passage dans son village. Contre l’avis d’Abduh, Maryam maria donc sa fille aînée à Abdelghanî, dans l’espoir de lutter contre sa propre marginalisation. De fait, ce dernier avait des vues sur les terres d’Abduh au village, et la petite famille s’installa à Taez (avec la belle-mère) dès le décès de ce dernier, pour y investir un héritage qui n’intéressait déjà plus la branche « ottomane ». La ville de Taez avait perdu de son dynamisme, avec l’avènement d’un régime communiste à Aden (1967) et la centralisation grandissante du régime de Sanaa, à partir de l’arrivée au pouvoir d’Ali Abdallah Saleh (1978).  
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 +Abdelghanî donna à Maryam trois petits-fils au caractère bien trempé : Nabil (1973)Ziad (1979) et Yazid (1982). Mes interlocuteurs grandirent dans le nouveau quartier de Hawdh al-Ashraf, proche de l’ancien palais de l’imam et joyau de la jeune république dans les années 1960, un quartier déjà noyé à ce stade par l’exode rural et la construction anarchique d’immeubles. Une petite maison modesteconstruite dans l’arrière-cour de la belle demeure d’Abduh - que l’épouse ottomane n’habitait déjà plus (elle termina sa vie à Sanaa auprès de ses fils) et qu’on ne pouvait plus guerre louer qu’à des familles pauvres ou des travailleurs ruraux. 
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 +C’est dans cet environnement que Nabil construisit son royaume, repris par son frère Ziad lorsqu’il fut recruté par la Municipalité, en tant que chef de l’inspection des souks centraux de la ville. Et c’est à ce royaume que j’ai consacré mon premier travail (2003-2004). Bien qu’encore très approximative, mon « étude sociologique » était déjà construite autour de ce mystérieux charisme qui m’avait captivé, au sens propre : avant même que je puisse la comprendre, l’histoire de cette famille avait pris possession de mon corps, dans les circonstances déjà évoquées. 
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 +Waddah lui-même avait grandi avec ses cousinsdans une certaine admiration pour leur force physique, leur intelligence et leur noblesse de caractère surtout pour [[fr:comprendre:personnes:nabil|Nabil]], son aîné de sept ans, qui avait été pour lui comme un grand-frère. Mais en tant quaîné de la branche ottomane à cette générationWaddah était aussi forcé de se positionner en compétition avec eux, défenseur du patrilignage de sa mère contre lusurpateur Abdelghâni. Aussi en vertu de la haine légendaire que se vouaient leurs mères respectivesCar du côté des femmesla famille restait structurée par une alliance féminine particulièrement forte, entre la mère dAbduh et sa (doublement) belle-fille. Du point de vue de ces femmesl’usurpatrice était la seconde épouse« la Turque » (surnom dépréciatif que jentendais dans la bouche de cousins plus jeunes, Ziad se gardant bien d’évoquer devant moi ces questions familiales). 
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 +On voit que ce contexte familial - du moins pour la descendance d’Abduh restée à Taez - se caractérise par une divergence particulièrement forte des points de vue masculin et féminin : entre lordre légal et objectif des patrilignages, et l’expérience émotionnelle de la sphère domestiqueComme ma propre démarche ethnographique visait à la fois une forme d’objectivité (sur-moi scientifique) et une certaine lucidité réflexive (critique féministe), il était quelque part inévitable que ma démarche ethnographique me mette aux prises avec ces ambiguïtés de l’histoire locale. C’est pourquoi Waddah ne pouvait que vouloir mon homosexualitéavant-même de m’avoir rencontré physiquement. Il la soupçonnait par jalousie, vis-à-vis de ses cousins restés à Taez, et par principe d’autorité. Pour des raisons indissociablement familiales, politiques et régionales, c’est à lui qu’il revenait d’intervenir, afin de restaurer l’ordre social perturbé par ma démarche.
  
-<WRAP center round alsqr tip> 
-Mine de rien, ce petit incident m'a préservé d'une erreur épistémologique fondamentale. Surtout les chercheurs en sciences politiques, la commettent lorsqu'ils dissertent allègrement sur « le Régime », alors que ce Régime est la condition-même de leur observation. Il y là une //erreur de type logique// (au sens de Bateson et de l'école de Palo Alto) : considérons la classe des observations produites dans telles et telles conditions - ce qu'on devrait appeler "régime", rigoureusement… ; si ces chercheurs ajoutent des observations sur le régime lui-même, ils comptent la classe parmi les membres qu’elles contient…\\ 
-Pour ma part, je n'ai jamais pu oublier ce petit incident, survenu juste à l’interface, entre mon premier arrachement au terrain et mon premier passage à l’écriture. Dans mon enquête, cet incident est analogue au nerf optique : tâche aveugle sur le fond de la rétine, mais sans lequel il n’y aurait pas de perception du tout. 
-{{anchor:maitrise_conclusion_annotee}} 
-  * Voir la conclusion de ma maîtrise (juin 2004), [[fr:comprendre:textes:academia:enqueter_a_l_ombre_du_stigmate|« Enquêter à l'ombre du stigmate »]] où j'esquisse une méthodologie de la honte. 
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 <WRAP rightalign>[[..:waddah|Retour Waddah]]</WRAP> <WRAP rightalign>[[..:waddah|Retour Waddah]]</WRAP>
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fr/comprendre/personnes/waddah/waddah_et_maryam.txt · Dernière modification : 2023/04/06 18:40 de mansour

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