Place Tahrir (mail du 25 juillet 2003)

De: Vincent Planel < planel@clipper.ens.fr >
Objet: Rép : somnambule
Date: 25 juillet 2003 à 22:30:20 UTC+2

(…) Aujourd'hui c'était très cool. Je commençais à me demander comment faire pour rencontrer des gens en dehors du groupe de francophones du centre, d'autant que mon pote Abderrahman est devenu tonton cette nuit, donc il était pas dispo aujourd'hui. Bon, je suis sorti en ville, manger, changer, et après un jus de mangue je suis allé poser mon cul sur le trottoir d'une grande aire au milieu de la place Tahrir, sur laquelle était organisé une espèce de manège de vélos, de scooters et de minimotos, que les gamins louent pour 20 rials (0,7F) pour s'amuser. Et c'est la grosse attraction de la place, pleins de gens autour (c'est vendredi).

Alors je commence a parler à un gars qui était assis à côté, il avait une bonne tête, l'air sympa, mais très sale. Bon on papote, et puis d'autres gamins viennent, puis d'autres jeunes. Peu à peu c'est carrément une foule qui s'attroupe, 30 personnes qui se massent pour m'écouter baragouiner. Ils sont très curieux de savoir si je reconnais Mohammed, et ce qu'il se passerait pour moi en France si je me faisais musulman.
Mais c'est très marrant de voir tous ces gens si divers socialement qui se côtoient dans la sphère publique l'air de rien. Comme dirait Millot [prof], je retrouve le sens de l'étonnement, mais c'est aussi un étonnement motive par une question. C'est forcement comme ça peut être. Bref, c'est assez marrant. Le gars très sale, c'était en fait un bédouin (Badaoui), qui était descendu en ville peut être pour le vendredi. Il était très étonné que j'ai oublié le mot 'chèvre', ça lui semblait un mot de première nécessité… (tu raconteras ca a ton pote vincent, l'autre…)

Du coup ça me donne des idées de choses intéressantes à étudier entre Taez et Jebel Saber, lors du marché, quand les péquenots arrivent en ville…

Même entre Sana'a et Taez : j'ai rencontré deux gars, l'un de Taez, habillé à l'Occidentale et étudiant en médecine, l'autre habillé à la yemeni, keffieh, poignard, veste de costard et futah (tissus porté en jupe), étudiant à l'école des officiers. C'est con, mais je crois que c'est un peu le cliché Chafeïte/sunnite etc. Enfin ça n'a pas d'importance, les cliches, mais c'est marrant de les voir se comporter l'un avec l'autre (ils ne se connaissent pas). Ces deux-là, je vais les revoir pour qater, peut-être après demain.

Bon, voila, je suis très content. Les Yéménites sont adorables, il me semblait bien…

Ouais, je suis bien content, tu vois, rien que ces deux heures passés avec ces gens, c'est une expérience tellement riche! et puis ça me fait retrouver mon arabe, peu a peu.

Je t'embrasse fort. Bah, ce monde est pas moins structuré qu'un autre, si? Reposes toi, j'espère que tu va faire des trucs intéressants a C.. Comment s'est passe ton entretien?
Tu sais, je trouve un bon remède de grand-mère, quand tu es un peu lasse et que tu as des doutes, c'est d'aller faire un entretien dans un café comme le Folies, avec quelqu'un que tu pourrais n'avoir jamais rencontré. Le fait de rentrer en contact avec quelqu'un qui ne te connaît pas encore, c'est vachement jouissif, je trouve, tu retrouves conscience de ta personne, de ton visage, et tu redécouvres une sorte de liberté créatrice propre à l'interaction… hum, n'est-ce pas.

Grosses bises, avec la langue.

vincent