L'imam Ahmed

(je colle un billet de mon ancien site)

Ahmad le Jinn et les subjectivités musulmanes diplômées

photographie d'Ahmad Bin Yahia

L’image moderniste de Taez est trompeuse. Celui qui a fait cette ville, c’est cet homme, Ahmad bin Yahya (1891-1962), le dernier imam a avoir régné sur le Yémen avant l’instauration de la République. Au départ des Ottomans en 1918, à l’âge de 27 ans, il est nommé gouverneur de Taez par son père l’imam Yahia, qui entend maintenir le pays dans l’archaïsme depuis Sanaa.

Taez n’est alors qu’une petite bourgade, endormie depuis la dynastie rassoulide du XIIIème siècle. Mais la région est l’arrière-pays de la colonie britannique d’Aden, qui devient le second port mondial (en tonnage) après Rotterdam, au tournant de la second guerre mondiale. Les Taezis sont la première source de main d’œuvre du port, et les initiatives se multiplient pour introduire l’éducation et la modernité dans les montagnes yéménites. Ahmad parvient pourtant à contrôler ces velléités réformatrices.

À la mort de son père en 1948, il met en échec le coup d’état parlementariste des Yéménites libres, et fait alors de Taez sa capitale. Surnommé le Jinn, en raison des nombreuses tentatives d’assassinat qu’il parvient à déjouer, Ahmad parvient à se maintenir aussi grâce à une certaine popularité, à Taez et tout spécialement à Hawdh al-Ashraf, le quartier de sa cour (où je me fixerai 50 ans plus tard), qu’il marque par une certaine idée de la modernité.

Après sa mort et l’instauration de la République en 1962, sa figure est pourtant effacée de la mémoire collective. Elle devient une mémoire occulte, un secret que la ville partage avec le nouveau régime. C’est à Taez que le jeune ali_abdallah_saleh (1947-2017) fera ses premières armes, avant de devenir « l’imam à la cravate » à partir de 1978. Jusqu'à ce qu'en 2011, cette ville d'un million d'habitants ne prenne la tête du Printemps Yéménite…

Au fond, cet angle-mort perdure aujourd’hui chez les analystes et les observateurs, malgré la centralité de Taez dans l’histoire du pays, et jusque dans la guerre actuelle. Comme si, pour les informateurs yéménites modernistes et diplômés, les sortilèges d’Ahmad le Jinn devaient encore rester secrets…