====== Théorie (HIC) ======
2025-03-10
À l’origine, j’ai développé ce [[fr:code couleur]] pour raconter mon enquête au Yémen (2003-2010), et ce qu’on appelle un « terrain anthropologique » : l’étude localisée de certaines régularités comportementales, en lien avec le défi de ma propre insertion.
{{gallery>fr:comprendre:images:presentations:2021_03_01}}
Intervention de mars 2021 auprès de l’association CTP34 ([[fr:valoriser:laicite:accueil|projet Orient laïcité]]).
Dans le powerpoint ci-dessus, j’essaie d’expliquer ma progression d’une vision sociologique binaire (2003) vers une vision systémique (2008-2010) qui conduit finalement à mon retrait, en amont de la révolution (2011) et de la guerre (2015).\\
J’utilise le rouge et le bleu pour décrire à la fois :\\
• mes hypothèses explicatives à l’époque,\\
• la ligne de front qui traversera ce lieu dix ans plus tard.\\
=> Le but de ce coloriage n’est évidemment pas de mettre en valeur les explications habituelles, mais de les tourner en dérision - un peu comme on grime la photo d’un personnage, en lui ajoutant une moustache au stylo bic… //Le coloriage permet de souligner le dualisme à l’œuvre derrière un argument, ou derrière une description, juste pour garder en éveil l’esprit critique.// C’est un procédé délibérément ambigu, une sorte de clin d’oeil - « un nœud dans le mouchoir »[[fr:explorer:auteurs:gregory_bateson:11_citations#GB2]], dirait Bateson : le genre d’habitudes intellectuelles qui permet de survivre face à la complexité.
Contraint finalement d’abandonner ma thèse en 2013, je me suis retrouvé dans une situation de terrain inversé : une insertion sociale et professionnelle devenue problématique dans mon propre pays - c’est ce qui m’a conduit à explorer ces questions.
Ma démarche est une « sociohistoire »[[fr:glossaire:sociohistoire|*]], en ce sens que je n’ai jamais considéré l’histoire indépendamment du monde contemporain. Mais plus fondamentalement encore, je n’ai jamais considéré l’histoire indépendamment de considérations épistémiques[[fr:glossaire:epistemologie|*]] fondamentales - la condition dualiste de tout observateur, et de tout musulman diplômé. Ce que je place au tableau chaque fois, c’est bien //mon rapport// à telle ou telle référence historique - c’est pourquoi le code couleur s’impose, et bien sûr il doit toujours être discuté. C'est bien là l'intérêt : replacer l’histoire en un lieu où elle puisse être discutée, en posant le problème du //dualisme//, en explicitant des //configurations//.
===== Dualisme ? =====
Le dualisme[[fr:glossaire:dualisme|*]] est le nom d’un problème philosophique typiquement moderne : la séparation entre l’esprit et le corps dans la civilisation industrielle, entre la pensée et la matière dans les disciplines scientifiques, etc. (voir [[fr:glossaire:dualisme|glossaire]]).\\
- Mais ici, je l’utilise aussi en lien avec le grand problème de la théologie médiévale : les rapports entre raison (//‘aql//) et révélation (//naql//) - problème traité en islam dans les fondements du droit (//usûl al-fiqh//), entre argumentation logique (//ijtihâd bil-ra’î//) et argumentation par citation (//bil-ma’thûr//).\\
- Je remonte aussi à l’Antiquité, aux fondements de l’identité grecque face à l’empire Perse ([[fr:explorer:frise|Frise résumant ce que je comprends de l'histoire (intellectuelle) du monde]]).
Depuis une bonne quinzaine d’années, je tente ainsi de construire **une convergence utile entre la pensée musulmane et la critique batesonienne[[fr:glossaire:batesonien|*]] du dualisme**. C’est pourquoi le code couleur est volontairement flou, permettant d’agréger schématiquement des observations très diverses :\\
- allant de l’opposition entre langues indoeuropéennes et sémitiques\\
- jusqu’à l’opposition entre macronisme et complotisme dans la situation contemporaine.
Le code couleur exprime en fait certaines caractéristiques les plus fondamentales de l’épistémologie[[fr:glossaire:epistemologie|*]] humaine.\\
- Telles que l’opposition entre nom et chose nommée en linguistique\\
- ou dans l’étude des comportements, l’analyse du sens de l’honneur[[fr:glossaire:honneur|*]] (//nif// et //hurma// - voir [[fr:glossaire:honneur|glossaire]]).\\
- L’épistémologie humaine se construit toujours entre une assise (les mots qu’on utilise) et un visage (les situations qu’on tente d’affronter).\\
- Mais cette règle vaut également pour l’œuf fécondé ([[fr:glossaire:embryologie]])…\\
La problématique du dualisme vaut pour l’ensemble du règne animal et végétal, comme Bateson nous le rappelle : il est illusoire de prétendre la résoudre dans la sphère du langage, qui ne se suffira jamais à elle-même. C’est pourquoi l’hypothèse monothéiste est nécessaire.\\
- Et c’est pourquoi l’ethnographie[[fr:glossaire:ethnographie|*]] - la description scientifique d’une situation sociale située, articulée à la compréhension du passé - peut éventuellement conduire à l’islam.
Selon les contextes, le coloriage voudra dire tout cela. Et peu à peu, nous comprendrons comment ces différentes formes de dualisme sont apparentées : l’évolution du statut de l’écrit dans la civilisation monothéiste à travers les âges, des premiers livres révélés jusqu’aux réseaux sociaux.
===== Configuration ? =====
La configuration[[fr:glossaire:configuration|*]] est un concept très utilisé dans les sciences sociales françaises, qui croient en l’unité de la sociologie, de l’histoire et de l’anthropologie. C’est un concept développé par l’historien allemand Norbert Elias, inspiré notamment par la lecture de Gregory Bateson (voir [[fr:glossaire:configuration|glossaire]]).
Pour ma part, j’utilise ce mot pour rendre compte de //l’hypothèse monothéiste// : comment comprendre rationnellement la pertinence transhistorique d’un texte donné, révélé à un moment //t// de l’histoire humaine ? Comment traduire cela, dans les termes d’une hypothèse ethnographique multisituée[[fr:glossaire:multisite|*]] ? Ma réponse est la suivante : la pertinence d’un texte révélé s’inscrit toujours dans une //configuration//.
La configuration par excellence, pour ce qui nous occupe, est la position de l’islam comme « communauté médiane » ([[fr:theologie:coran:002:143|2:143]]) entre [[wpfr>christianisme]] et [[wpfr>judaïsme rabbinique]].\\
Mais d’un point de vue anthropologique, le mécanisme est plus général :\\
• Au sein de l’histoire islamique, si l’on revient périodiquement vers le texte révélé avec une lecture renouvelée, c’est chaque fois pour surmonter une situation d’impasse, qui se ramène toujours à une forme de dualisme. Et la formation intellectuelle du musulman réside dans sa capacité à re-saisir ces impasses rétrospectivement.\\
• Dans l’histoire européenne[[fr:glossaire:europe|*]] (c’est-à-dire les mutations successives de la chrétienté latine, largement sous influence de l’Islam[[fr:glossaire:islam|*]]…), ce mécanisme est également à l’œuvre. Pour survivre subjectivement en tant que monothéisme, face à l’islam et ses innovations techniques, l’Europe embrasse //délibérément// l’épreuve du dualisme. C’est là une constante de son histoire. Ici aussi, la nouveauté s’inscrit toujours peu ou prou dans une configuration - même si les acteurs n’en ont plus conscience, notamment dans l’histoire des sciences.
La science moderne est une mutation du monothéisme qui s’imagine en prise avec le monde. Il n’y a pas lieu de le reprocher aux scientifiques, qui y croient sincèrement. Par contre, le musulman diplômé[[fr:glossaire:musulman_diplome|*]] a cette responsabilité historique de le comprendre, de garder vivante la conscience de cette configuration dualiste, où toute l’histoire moderne continue de se débattre. C’est là que réside le témoignage de l’islam, en tant que communauté médiane. Je crois que jusqu’à 2011, les régimes arabes remplissaient //bon an mal an// cette fonction (pour nous en France en tous cas…). Depuis 2011 les diplômés musulmans nagent en plein délire, et l’Europe avec eux. Concernant notre époque, voilà peu ou prou mon intuition…
Pour rendre l’islam à l’histoire, un musulman doit admettre que la Révélation est descendue dans un contexte (que les historiens nomment « antiquité tardive »), et que celle-ci crée à son tour un contexte dans le monde (que les historiens nomment « Moyen-Âge »), dont émerge la modernité[[fr:glossaire:modernite|*]] européenne. S'il ne revient pas au musulman de connaître le premier, en vertu de la transcendance du Texte, le second relève bien de sa responsabilité. L’islam a un amont et un aval, une assise et un visage : c'est dans cette configuration même que se révèle la transcendance de la Révélation.
//(26 février 2025)//
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